Lot 150
LUMINAIRE de Louis MAJORELLE aux nénuphars.
Monture en bronze doré, patiné et sculpté.
Chutant d'appliques feuillagées timbrées de fleurs: triples tiges feuillagées ornementales se terminant par trois importantes corolles à trois pétales, qui retiennent un tambour ceint de nénuphars.
Décor floral et végétal dominant de nénuphars: mosaïque sertie au plomb de verres antiques, verres anglais et verres américains. Travail de la gravure à l'acide et de superposition de verres à reliefs. Ce travail de MAJORELLE peut être attribué conjointement au maître-verrier GRÜBER.
On y retrouve en effet les caractéristiques des œuvres signées de Jacques GRÜBER -ancien employé de chez DAUM: reliefs, superposition, acide.
GRÜBER réalisa parallèlement la verrière -signée et datée 1903 -du bureau de l'étage toujours au 25 de la rue de Malzéville. L'État acquit une réplique de ce vitrail exposé au Salon des artistes français à Paris en 1908.
GRÜBER déploie ici tout son savoir-faire, utilisant toute la gamme des verres disponibles à l'époque dont le verre dit américain, en prolongement du travail de Louis Comfort TIFFANY.
Observons que tant TIFFANY que GRÜBER-DAUM ont une prédilection pour l'art floral: nénuphars, pivoines, iris ... et traitent les luminaires parallèlement avec la même technique du vitrail au plomb.
L'utilisation de verres anglais superposés à des verres américains ou à des verres plaqués, gravés, contribue largement à cette réussite: tonalité laiteuse à reflets irisés de verres opalescents.
TIFFANY à New York et GRÜBER à Nancy excellent dans cet art difficile qui renouvelle l'art du vitrail appliqué aux arts décoratifs.
Comme pour les lampes de TIFFANY combinant le verre américain favrile iridescent et de forme sculpturale nette, ce luminaire de MAJORELLE est remarquable par la qualité du travail artisanal et l'invention du dessin. On peut reprendre ce qu'écrit BING des lampes TIFFANY pour le travail de MAJORELLE-DAUM-GRÜBER : « ... c'est comme pour de la peau, soyeux et délicat au toucher. »
Un an après l'exposition de Chicago de 1893, TIFFANY présente ses premiers « Favrile glass». Il semble que seul GRÜBER en France maîtrise cette technique difficile, dès 1894-1897, de verres superposés gravés à l'acide.
Notre luminaire provient, selon la tradition familiale Luc, de l'escalier du n°25 de la rue de Malzéville, « morceau de choix de la villa, œuvre unique dans l'architecture Art nouveau nancéienne». Il accompagne tant la rembarde en grès flammé de Gentil-Bouret que le motif d'adoucissement du plafond de la cage d'escalier: frise décorative en stuc formant une arcature d'arcs outrepassés interrompant un cordon feuillagé timbré de fleurs. Ce même motif de fleurs se répète : rembarde, plafond, luminaire.
Ce lustre est donc partie prenante tant dans sa structure que dans son ornementation de la cage d'escalier -conçue et réalisée par MAJORELLE: il s'agit d'un « art total». Nous avons ainsi la confirmation que Louis MAJORELLE est responsable de toute la décoration intérieure de ces deux hôtels particuliers, richissimes villas.
Précisons que nous retrouvons ce luminaire :
– photographié et publié dans L'Art décoratif de 1904 au-dessus de la salle à manger dite à « l'épi de blé ».
Exposition Paris 1904, Galerie G. Petit, Daum, Lachenal et Majorelle.
– et avec quelques variantes, reproduit dans la planche 10, sous le n° 58 des ensembles de plafonniers du catalogue Majorelle.
Références : Nancy, architecture 1900, p. 6-19 ; Mqjorelle, Roselyne Bouvier, p. 190; Exposition Paris, Galerie G. -Petit, 1904; Tiffany, New York, Metropolitan Museum of Art, 1998, p. 68-75; Noël Daum, Daum maîtres-verriers, Denoël, 1980; Noël Daum, La pâte de verre, Denoël, 1984; Giuseppe Cappa, Le génie verrier de l'Europe, Mardaga, 1998; Duncan, Majorelle, Flammarion, 1991; Debize, Guide de l'École de Nancy, PU Nancy, 1989; Janine B10ch-Dermant, L'art du verre en France, Denoël, 1974.
Majorelle, à juste titre, a souvent été baptisé « le maître des nénuphars» ; on se plaît à l'imaginer demandant à Grüber – qui a d'ailleurs réalisé les vitraux de la « villa Majorelle », comme celui de la villa Luc – de prolonger ici par le verre son propre travail de décorateur et, précisément, de bronzier.
« L'invention de l'électricité devait combler le maître-verrier... la verrerie d'art devait alors apparaître dans toute l'éclatante vérité de sa substance», écrivait, en 1933, Champigneulle dans Mobilier et décoration.
Fruit de la collaboration de Majorelle et de Daum dans un parfait équilibre des formes, apparaît ce luminaire telle «la lampe orchidée» exposée conjointement au Pavillon de Marsan en 1903. Concertation dont la seule ambition est de faire progresser l'art.
MAJORELLE-DAUM: les talents étaient vastes; à la fois en tant qu'artiste et industriel, ils surent réaliser ce lustre-fruit (ou plutôt fleur) avec la collaboration de GRÜBER -et virent les grandes possibilités qu'offrait l'alliance de l'art et de l'industrie du verre: ce luminaire en est l'archétype.
Sans signature, quelques accidents à certains verres.
Hauteur maximum 156 cm.
Diamètre tambour 62 cm.
Largeur maximum 100 cm.
Adjugé : 60 980 €