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Château d'Artigny, l'attrait de la nouveauté

Vendredi 01 juin 2018

La Gazette Drouot, Caroline Legrand

Auguste Rodin (1840-1917), et Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887)
pour la manufacture de Choisy-le-Roi, Jardinières des Titans, 1899, céramique émaillée, h. 71, diam. 50 cm.
Estimation : 50 000/60 000 €
Chine, époque Qianlong (1736-1795).
Gourde baoyueping en porcelaine émaillée céladon sur la panse et en bleu sous couverte sur les côtés et le col. h. 49 cm.
Estimation : 600 000/800 000 €
Émile Gallé (1846-1904), coupe «aux chrysanthèmes», vers 1894-1897,
h. 23, diam 28 cm, signé «Gallé» sur le piéddouche.
Estimation : 10 000/15 000 €
Manufacture royale de Mortlake, vers 1670.
Don Quichotte, le barbier et son âne, dit aussi la Conquête de l’armet de Mambrin, tapisserie en laine et soie d’un ensemble de deux tapisseries, 316 x 185 cm.
Estimation : 200 000/300 000 €
François Boucher (1703-1770),
Scènes pastorales dans des encadrements rocaille, quatre toiles cintrées en partie supérieure, 274 x 70 cm.
Estimation : 400 000/600 000 €
Rembrandt Bugatti (1884-1916), Le Daim passant,
modèle créé vers 1905, épreuve en bronze à patine brune, fonte à la cire perdue de A. A. Hébrard, signé «R. Bugatti» sur la terrasse, n° 1, tirage répertorié à trois exemplaires, 32 x 35 x 11,4 cm.
Estimation : 100 000 €

FOCUS

Des avant-gardistes… Chacun dans son domaine et à son époque, les artistes présents lors de cette vente ont été les moteurs de révolutions artistiques. La fin du XIXe siècle a ainsi connu de véritables bouleversements. Tentant d’abandonner l’éclectisme et ses poncifs, les créateurs se tournent vers de nouvelles sources d’inspiration et abolissent les frontières entre les disciplines. La Jardinière des Titans, issue de la collaboration d’Auguste Rodin et d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse, en est un exemple parlant. Ces deux grands sculpteurs ont mis leur talent au service de la céramique. Si cet exemplaire est le quatrième, intact et complet, connu à ce jour de cette oeuvre, il est unique par ses grenouilles et son feuillage de lierre appliqués. Rodin aurait réalisé les quatre figures de titans vers 1878, au retour de son voyage en Italie, qui marqua un tournant dans sa carrière après la vision d’œuvres de la Renaissance et de Michel-Ange.

FORMES COMPLEXES

Naturalisme et expressivité deviennent les maîtres mots de son art, dont les fondements lui furent notamment inculqués par Carrier-Belleuse dans son atelier parisien de la Tour d’Auvergne une décennie plus tôt. Les deux hommes ont travaillé ensemble sur plusieurs commandes, notamment le chantier de la Bourse de Belgique en 1871, mais aussi sur cette jardinière à partir de 1876. Depuis ses années en Angleterre, dans la fabrique de Minton, Carrier-Belleuse s’intéresse particulièrement à la céramique ainsi qu’aux vases de grande taille et de formes complexes. Pour celui-ci, il a fourni à son modeleur, Rodin, des dessins préparatoires, conservés au musée des beaux-arts de Calais. Pour le plus grand plaisir du maître, Rodin prend alors certaines libertés dans son travail, inventant ce piétement inspiré des Ignudi de la chapelle Sixtine. Apparaissant au catalogue de Carrier-Belleuse en 1884, cette pièce est produite non par la manufacture de Sèvres mais par celle, alors en phase de croissance, de Choisy-le-Roi, dont un fils de Carrier-Belleuse, Louis sera le directeur entre 1890 et 1895.

Restons dans les arts du feu, très prisés à l’époque art nouveau, avec un autre grand artisan, que Rodin admirait : Henry Cros (1840-1907). Celui qui remit l’antique technique de la pâte de verre au goût du jour sera présent au travers d’un rare vase en grès cérame, aux couvertes demi-mates, à l’aspect très minéral, de 1,30 mètre de hauteur et fabriqué en 1897, au décor allégorique figurant les dieux Vénus, Mars et Vulcain, intitulé Les Métaux (180 000/220 000 €). Connu en trois exemplaires seulement (les deux autres étant conservés au Petit Palais et au musée La Piscine à Roubaix, le nôtre étant issu d’une collection particulière), ce vase a été réalisé dans l’atelier personnel de Cros à la manufacture de Sèvres. Un seul moule, haut de plus de 2 mètres, a été employé pour sa fabrication. Un tour de force !

Une Coupe aux chrysanthèmes, 1894-1897, par Émile Gallé à décor japonisant (10 000/15 000 €) illustrera encore cette riche période de l’art nouveau, tandis qu’un Daim passant de Rembrandt Bugatti (reproduit page 215) évoquera l’entrée de la sculpture animalière dans l’art moderne, avec une conception nouvelle du mouvement, sous influence de la peinture impressionniste.

LES FRÈRES LE NAIN ET FRANÇOIS BOUCHER

Le réalisme saisissant des frères Le Nain a offert à la postérité des œuvres exceptionnelles, convoitées dans le monde entier. Tel sera sans aucun doute le cas de Jésus enfant en adoration de la Croix, daté entre 1642 et 1648 (voir Gazette n° 13 pages 34-35 et Gazette n° 14, page 8). Inédit, ce tableau, classé trésor national, intrigue par sa composition originale, avec un unique personnage au premier plan, mais aussi par sa thématique rarissime de l’Enfant Jésus découvrant sa destinée (mise à prix à 1 M€).

On avancera d’un siècle pour se retrouver en plein cœur de l’époque rococo en compagnie de François Boucher (1703-1770) avec quatre toiles décrivant des Scènes pastorales dans des encadrements rocaille composées de saynètes d’enfants jouant aux adultes, dont Le Petit Joueur de cornemuse, La Petite Beurrière ou La Jardinière (deux reproduites page 214). Des œuvres qui illustrent le règne de Louis XV, durant lequel les règles de la vie en société s’assouplissent, les châteaux se composent désormais de pièces plus intimes, où les femmes prennent plus de pouvoir. L’une d’entre elles se distingue particulièrement : la marquise de Pompadour. C’est à elle que l’on doit l’émergence du thème de l’enfance dans la peinture, mais aussi dans les tapisseries, avec la commande, en 1751, à la manufacture des Gobelins, des tissus garnissant plusieurs sièges de son château de Crécy. François Boucher se chargera des cartons, qui seront repris également dans des porcelaines des manufactures de Sèvres et de Vincennes. Ceux-là seront ensuite montés par paire dans quatre toiles verticales d’Alexis Peyrotte (1699-1769) et livrées à la marquise de Pompadour pour ce même château et proposées ici. Elles ont plus tard été acquises par le duc de Penthièvre pour le château de Sceaux avant 1769. Vendues à la Révolution, elles ont été rachetées en 1872 à l’Hôtel Drouot par le duc de Trévise, à nouveau pour Sceaux.

MOBILIER DE BALZAC

Après le souvenir de la marquise de Pompadour, c’est celui d’un grand écrivain du XIXe siècle qui sera évoqué à Artigny : Honoré de Balzac, au travers du mobilier du château de Saché, où il trouva régulièrement refuge entre 1823 et 1848, et où il rédigea quelques-uns de ses plus célèbres romans. Il s’agit de meubles XVIIIe, de la chambre à coucher et du salon, provenant de la descendance des Benjamin, anciens propriétaires de la demeure jusqu’à sa vente en 1921.

Au XVIIe siècle déjà, les arts étaient intimement liés à l’économie ! La preuve avec deux tapisseries de la manufacture royale de Mortlake, réalisées vers 1670, au décor exubérant sur le thème de Don Quichotte (une reproduite page de droite). En 1619, face aux importations massives de tapisseries flamandes et françaises, le roi d’Angleterre Jacques Ier décide de créer, à l’ouest de Londres, un centre de production. Après la restauration de Charles II, en 1662, la manufacture devient un atelier royal sous la direction de Ralph Montagu. Sous ses ordres, Francis Poyntz travaille avec James Bridge sur de grands projets, comme la série généalogique des ancêtres de Charles II Stuart, mais aussi celle consacrée au héros de Cervantès, l’une des rares sur ce thème, qui fut seulement repris quelques années plus tard à Bruxelles puis aux Gobelins. Appartenant à la même série que la tapisserie acquise par le Metropolitan Museum en 2014, ces deux pièces ont été commandées par la reine consort d’Angleterre Catherine de Bragance avant 1677 pour le marquis de Fronteira, un noble portugais, en reconnaissance de sa loyauté pendant la guerre de Restauration entre son pays et l’Espagne. Si elles furent accrochées au mur de son palais à Lisbonne, elles se retrouvèrent deux siècles plus tard dans le grand salon du château de Coulonges, dans la Sarthe, propriété du financier et régent de la Banque de France, François Adolphe Akermann (1809-1890).

La dernière étape nous emmènera en Chine, avec la présentation de nombreuses porcelaines XVIIIe et XIXe, dont cette gourde impériale chinoise, à l’étonnant décor moitié céladon, moitié bleu, sous couverte, à motifs moulé en relief des huit symboles bouddhiques dans des pétales de lotus sur la panse et de fleurs de lotus et pivoines sur les côtés. Ce décor en deux parties sur une gourde de forme ronde et aplatie dite baoyueping, inspirée de pièces islamiques, est rarissime. Provenant de la descendance d’un officier d’état-major de la Marine royale en mission en mer de Chine dans les années 1842-1847, cet objet est un fabuleux exemple des productions impériales des fours de Jingdezhen, pendant le règne de Qianlong, sous la direction de Tang Ying (1682-1756), artiste apprécié de l’empereur pour sa maîtrise des techniques ancestrales et sa volonté de renouveler les formes et les décors. De la nouveauté, toujours de la nouveauté !
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