Coffre dit "Petaca", de la Nouvelle-Espagne
Mardi 19 avril 2022
Histoire d’une malle hispano-aztèque aux influences orientales
par Valentin de Sa Morais
Le célèbre conquistador Hernán Cortés entame la conquête de la Nouvelle-Espagne en 1519. Sous les ordres de Charles-Quint, il renverse en 1521 l’Empire aztèque et colonise durablement le Golfe du Mexique.
Durant cette période de conquête les espagnols se mêlent à la population locale. Cela donne lieu à des productions artisanales d’une grande complexité, mélangeant des techniques et matériaux vernaculaires à un goût hispanique. Mary Caroline Montano, dans son livre "Tradiciones Nuevomexicanas : Hispano Arts and Culture of New Mexico" écrit :
« Certains coffres du Nouveau-Mexique étaient recouverts de cuir, une influence des indiens aztèques du Mexique, qui appelaient leurs coffres en cuir « petacas », dérivé du terme nahuatl « petlacalli », correspondant aux bandes précolombiennes entrelacées de canne ou de fibre de palmier, et plus tard, de tissu et de cuir. Le terme est encore utilisé au Nouveau-Mexique et dans le sud du Colorado »
Ces Petacas ou malles illustrent le processus de transformation de la culture indigène qui débute avec l'arrivée des espagnols au Mexique.
José Salomé Pina, Hernan Cortes en 1519, Musée du Prado
CODEX ET RÉCITS DE CONQUÊTES
Il existe de nombreuses références dans les codex et chroniques du Nouveau Monde qui décrivent les malles que les peuples indigènes méso-américains utilisaient pour conserver et déplacer des marchandises ou des biens appréciés par leurs propriétaires. L'association de ce meuble de rangement et de transport avec un contenu précieux se reflète clairement dans un dessin du "codex de Mendoza", daté vers 1541, qui représente un voleur ouvrant furtivement une petaca. On le voit soulever le couvercle, élément fonctionnel qui protégeait ce qui était conservé et symbolisait la valeur privée.
Codex de Mendoza, daté vers 1541, Oxford
Dans la "Relación de las ceremonias y rictos y población y gobernación de los indios de Mechoacan" (c. 1538-1539), nous trouvons documenté un autre fait qui témoigne de l'association des petacas à l'image du prestige des élites : le rituel célébré pour les noces des dignitaires commençait par le transfert de la mariée à la maison du mari, elle était accompagnée d'un cortège féminin qui transportait bijoux, paniers et petacas. Cette coutume de la haute société de Michoaque permettait de déduire en fonction du nombre de petacas portées, la richesse plus ou moins grande de la dot du mariage.
Les objets de valeur conservés dans les petacas pouvaient être des couvertures en coton, des plumes précieuses, des vêtements, des objets religieux ou des friandises comme le cacao. Bernal Díaz del Castillo a témoigné dans sa "Historia verdadera de la conquista de la Nueva España" (c. 1550-1568) d'une autre utilisation des petacas qui démontrait l'idolâtrie de l'évangélisation indigène :
« Ils gardaient dans des coffres en bois et d'autres qu'ils appellent "petacas ce qu'ils avaient dans leurs autels domestiques, des idoles de différentes tailles, mais également des cailloux, des silex ou des manuscrits dans lesquels ils écrivaient leurs faits et leurs histoires. »
Dans la religion des Mexicas, les petacas n'étaient pas de simples contenants, car ils avaient un lien avec les contenus sacrés. De plus, selon certaines traditions concernant la fondation de Tenochtitlan, le dieu Huitzilopochtli aurait été transporté dans l'une d'elles lors d’un long pèlerinage. Les petacas servaient également à transporter et à conserver les hommages rendus aux souverains. Par extension, les peuples mexicains appelaient petlacalco (dans la petaca) les lieux qui renfermaient les biens ou les captifs, les armes, les alhóndigas et les prisons.
Un document conservé aux Archives des Indes (Séville), daté de 1532, raconte le transfert, sur les épaules et par des indigènes au service d'Hernán Cortés, d’une petaca chargée de bijoux en or, que le marquis del Valle aurait tenté depuis le port de Veracruz d'envoyer clandestinement en Espagne .
Vers 1541, dans son "Historia general de los indios de la Nueva España", Fray Toribio de Benavente, dit « Motolínia », associe les petacas aux richesses que les espagnols ont amassées peu de temps après leur arrivée en Nouvelle-Espagne, ridiculisant leur désir d'ostentation :
« Je ne sais pas à qui nos Espagnols ont pris ici, car ils viennent très pauvres de Castille avec une épée à la main, et un an après, il y a tellement de petacas et de troupeaux, que toutes les maisons doivent être de chevaliers. »
Tout laisse à penser que cette petaca, tout comme celles conservées dans le musée de Cluny ou encore au MET sont issues de la création de bagages pour l'élite espagnole de la Nouvelle-Espagne qui se réservait l'utilisation des chevaux comme moyen de transport.
Malle en cuir brodé dite "d'atelier Espagnol", XVII-XVIIIe siècles, Musée de Cluny (9565)
Coffre dit "Peteca", Nouvelle Espagne, c. 1772, Metropolitan Museum, New York (2018.3)
DEUX TYPES DE « PETACA»
Il existe des petacas fabriquées pour les vice-royautés du Pérou et pour la Nouvelle-Espagne. Les qualités et le style varient légèrement. Celles fabriquées au Pérou se distinguent par leur cadre en bois et leur revêtement en cuir gaufré gravé d'une riche ornementation florale. Elles sont de formes similaires aux coffres et malles espagnols de la haute Renaissance, avec un couvercle plat ou en forme d'auge inversée. Bien qu’il puisse y avoir des garnitures de fer et une serrure, celles qui sont fermées par de simples liens de cuir prédominent. Les garnitures étaient faites de bandes de cuir tendues, formant des croix, des étoiles et diverses combinaisons de mêmes motifs géométriques.
Les petacas traditionnellement cataloguées comme « Nouvelle-Espagne » ou « mexicaine » sont similaires aux précédentes par leur format et leur couvercle plat. Elles se distinguent par une ossature faite de lamelles de rotin, de palmier ou de bois, et une morphologie similaire à la valise espagnole en cuir renforcé du XVIIe siècle. Elles sont généralement consolidées par trois barres de fer forgé et munies d'une serrure et de poignées latérales du même métal. L'ensemble de ces éléments et matériaux en faisait un contenant mobile, léger et résistant.
Les inventaires de marchandises de la Nouvelle-Espagne citent des petacas de grande, moyenne et petite taille. Le seul type de petacas de petit format qui peut se distinguer dans les inventaires semble être celui dont la fonction était de transporter du chocolat et les ustensiles nécessaires pour en boire hors de la sphère domestique. Une petaca adaptée au transport du chocolat appartenait à Don Antonio Sedano y Mendoza. La division tripartite permettait de garder dans ses compartiments intérieurs les cruches et les petites tasses pour servir le chocolat lors des voyages. Cet exemplaire est aujourd’hui conservé au Musée Archéologique de Mexico.
Petaca, Nouvelle-Espagne, XVIIIe siècle, Museo Arqueologico, Mexico, Mexique
LE PITEADO HISPANO-MEXICAIN
La technique qui consiste à orner le cuir avec des fils d’agave s’appelle piteado. La petaca du Musée d'Arocena (Torreón, Cohauila, Mexique) en est l’un des premiers exemples connus à ce jour.
Le revêtement en cuir alterne des lamelles recouvertes de bordures de motifs ornementaux différents : des séries de losanges, de nœuds, de croisillons et de fleurs stylisées. Ces motifs sont dessinés avec des lanières de cuir appliquées et cousues au fil d’agave.
Les sources iconographiques des piteado sont multiples, tant hispano-mauresques que vernaculaires. Ces formes géométriques ou stylisées sont ici compactes, développant un décor dense qui mêle figures animales, fleurs et bordures végétales aux motifs géométriques.
Dans la petaca conservée au Musée Frédéric Marès (Barcelone), le piteado n'est pas brodé sur des motifs découpés ou interrompus par des barres de fer, car les renforts métalliques du couvercle sont à l’intérieur.
Coffre dit Peteca, Nouvelle Espagne, XVIe siècle, Museo Arocena, Torréon, Mexique
Petaca, Nouvelle Espagne, XVII-XVIIIe, Museu Frederic Marès, Barcelone
Comme notre malle, la broderie aux fils représente des figures animales, ici des tigres en position d'attaque et sur la face avant un aigle bicéphale couronné, aux plumes hérissées, flanqué de deux colonnes. Les piteados de notre petaca peut être à rapprocher de celles conservées à Cluny, datées vers 1650-1750.
Le piteado se sert de l’effet plastique lumineux et chromatique du fil d’agave. Le contraste des textures, des couleurs entre le tissu, le cuir et le fer produit un effet somptuaire caractéristique de l'art baroque. Tout en développant un répertoire iconographique qui suggère une influence orientale.
D'autres petacas datant de la seconde moitié du XVIIIe siècle, se caractérisent également par leur piteado étendu, mais leur exécution virtuose révèle qu'elles ont été créées expressément comme des objets somptuaires et probablement dans le même atelier.
Toutefois, on ne sait rien, pour le moment, des ateliers de la Nouvelle-Espagne qui fabriquaient les petacas recouvertes de piteadas. C’est très certainement le fruit de la collaboration d'artisans aussi habiles dans les techniques indiennes que dans les techniques introduites par les espagnols dans la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne. Ses différents composants devaient être fabriqués séparément par des forgerons, serruriers et/ou selliers avant d'être assemblés, cousus ou rivetés. La fabrication du cadre correspondait sans aucun doute aux artisans indigènes et les éléments en fer forgé, aux forgerons et serruriers espagnols.
Nous pouvons supposer que la réalisation de ces petacas d’une grande qualité a été confiée aux selliers qui connaissaient parfaitement le travail du cuir mariné, du cuir tressé et l’emploi de lanières de cuir naturel, cousues ou brodées de fil.
LES MODÈLES TIRÉS DES COLCHAS INDIA
Il est également probable que le piteado, broderie réalisée avec des fibres textiles d'agave, soit né avec le développement au XVIIe siècle du goût pour la décoration dense de motifs ornementaux. La complexité du piteado de la petaca du Musée Archéologique National, comme le notre, situe sa datation à une époque où cette technique était parfaitement maîtrisée et son développement continu et ordonné suggère qu'il repose sur un modèle textile.
María Paz Aguiló a indiqué l'influence possible des broderies des couvre-lits coloniaux portugais ou des couvre-lits d’Arraiolos. Broderies reprises également comme modèle dans le travail de la marqueterie des cabinets indo-portugais du Gujarat.
Colcha indo-portugaise, vente Christie's London, 12 juin 2014 (Lot n°34)
Colcha indo-portugaise, collection particulière
Œuvres en rapport :
- Coffre dit "Peteca", Nouvelle Espagne, c. 1772, Metropolitan Museum, New York USA (2018.3).
- Coffre dit "Peteca", Nouvelle Espagne, XVIe siècle, Museo Arocena, Torréon, Mexique.
- Malle en cuir brodé dit "d'atelier espangol", XVIIe ; XVIIIe siècles, Musée de Cluny (9565).
- Petaca, Nouvelle Espagne, XVIIIe, Museo Arqueologico, Madrid.
- Petaca, Nouvelle Espagne, XVII-XVIIIe, Museu Frederic Marès, Barcelone.
- Coffre dit "Petaca", XVIIIe, château de Chaumont-sur-Loire (chambre de Côme Ruggieri).
- Malette dit "Petaca", Mexique, XVIIIe, Musée des Arts décoratifs, Paris (987.43 - Donation Gaston Louis Vuitton, 1989).
Bibliographie :
- Paulo César Correa Valdivia, « In toptli in petlacalli, in piyalli in nelpilli: contener y revelar el poder divino : los envoltorios sagrados en los códices del centro de Mexico », Tesis, Universidad Nacional Autónoma de México, 2013, p. 23-24.
- José Almeida, Tesouros Artísticos de Portugal, éditions Selecções Do Readers Digest, Lisbonne, 1976.
- George Kubler, Martin Soria, Art and Architecture in Spain and Portugal, and their american dominions, 1500 to 1800, édition Penguin Books.
- Joaquín Yarza Luaces, La Nobleza Ante el Rey, éditions El Viso, Madrid, 2003.
- Collectif, Consejería de Cultura y Turismo de la Junta de Castilla y León, Valladolid, 1994.
- Mary Caroline Montano, Tradiciones Nuevomexicanas : Hispano Arts and Culture of New Mexico, University of New Mexico Press, 2001, p. 103.
- Bernal Díaz del Castillo, Historia verdadera de la conquista de la Nueva España, édition Guillermo Serés, Madrid, Real Academia Española, 2011, p. 963.
- Luis Torres de Mendoza, « Información hecha en México sobre averiguar si los indios de Nueva España regalaron al Marqués del Valle joyas u otras alhajas cuando volvió allí de España, » Colección de documentos inéditos relativos al descubrimiento, conquista y organización de las antiguas posesiones españolas de América y Oceanía, tome XII, Madrid, 1869, p. 532.
- Toribio de Benavente, Historia de los indios de la Nueva España, édition Mercedes Serna Arnaiz y Bernat Castany Prado, Madrid, 2014, p. 77.
- María Campos Carlés de Peña, Un legado que pervive en Hispanoamérica. El mobiliario del Virreinato del Perú de los siglos XVII y XVIII, Madrid éditions El Viso, 2013, p. 136-149.
- Julio Cavestany, « De los viajes retrospectivos. I. El equipaje, Boletín de la Sociedad Española de Excursiones v. 38, junio 1930, p. 139.
- María García, « Petaca (Pletacalli), » en El Arte en la Piel. Colección de A. Colomer Munmany, Madrid, Fundación Central Hispano, 1998, p. 116.
- Marion Oettinger, San Antonio 1718. Art from Mexico, éditions Marion Oettinger Jr, Texas : Trinity University Press, San Antonio Museum of Art, p. 113.
- María Paz Aguiló Alonso, El mueble en España. Siglos XVI-XVII, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Ediciones Antiqvaria, 1993, p. 84-85.
- Maria Luisa Sabau García, María Olga Sáenz Gonzáles, Octavio De la torre Ruiz, México en el mundo de las colecciones de arte : Meso America, tome 1, éditions Sin Publicador, 1994, p. 180-181.