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Beaux comme des camions

Vendredi 22 septembre 2023

La Renaissance du Loir et Cher, Frédéric Douchet

Samedi 30 septembre prochain, sur le site de l'ancien musée du Poids Lourd, sera dispersée la collection de camions du siècle dernier, amassée par l'ancien ferrailleur. Une caverne d'Ali Baba pour tout amateur de bahuts anciens. Et une vente aux enchères publiques hors du commun pour la maison Rouillac, sise à Vendôme. Redécouverte et histoire d'une passion dévorante.


De toute la France et peut-être de plus loin encore, les amateurs vont se presser pour assister à une vente atypique. II s'agit de la plus importante collection de camions anciens en France, et l'une des plus grandes en Europe. La passion d'une vie pour Jacques Passenaud, et son activité exclusive une fois en retraite, après 1992.

Une collection atypique et singulière

Le maître des lieux s'en est allé à la fin de l'année dernière à l'âge de 90 ans. « C'est une vente avec beaucoup d'émotion, assure Aymeric Rouillac, qui mènera la vente, marteau en main, au côté de son père. » J'étais jeudi à Paris et j'ai croisé des joumalistes spécialisés dans le marché de l'art. Ils m'ont dit : « Mais qu'est-ce qui vous a pris ? Des poids lourds... » Mais c'est pour nous une collection atypique et singulière.« En entrant dans l'ancienne tannerie Bergerault, devenue un temps Musée des Poids Lourds, on comprend tout de suite l'ampleur de la tâche accomplie par Jacques Passenaud et les deux mécaniciens qui l'ont aidé. Titanesque. 72 camions anciens entreposés, certains à l'étage.
Ce qui nécessitera des engins de levage adaptés pour les descendre le jour J. Sans compter le rouleau compresseur, des
automobiles Vermorel, Citroën ou Peugeot du début XXe, les moteurs, de 2 CV par exemple, les enseignes liées à l'automobile, les pompes à essence, tout ce qui a trait à l'automobilia en général. Mais également un char du cirque Pinder, un groupe électrogène de la Wehrmacht de 1942, une sulfateuse à vignes de 1930... En tout 217 lots proposés à la vente. De 30 euros pour une pompe à huile Aster à 20.000 euros pour le camion Saurer type A exceptionnel.

Jacques Passenaud, ferrailleur de métier et collectionneur retraité

Pas besoin d'aller chercher bien loin, les images nous viennent vite à l'esprit. De Gas Oil, avec Jean Gabin et son Willeme LD »nez de requin«, en 1955, en routier courageux devenu justicier improvisé, à Cent mille dollars au soleil, en 1964, avec Ventura et Blier, lancés à la poursuite de Belmondo et son Berliet TLM 10 M2, ou même Le salaire de la peur de Clouzot, de 1952, tourné au Guatemala, le cinéma a souvent brillamment mis en scène la vie des camionneurs, des routiers, au moyen ou au long cours. Ils sont tous là et ce n'est pas le moindre des exploits de Jacques Passenaud. tombé dedans quand il était petit, né en 1932, il était fils de ferrailleur, récupérateur de métaux, papiers, peaux de lapins et chiffons, à Mondoubleau. Corporation d'hommes forts, pas regardants sur les efforts. II était venu à pied d'Auvergne, rejoindre un compatriote déjà installé sur place. Dans une interview à notre confrère Jean-François Colombet, rédacteur en chef de Charge Utile et consultant pour cettevente, la bible des connaisseurs, Jacques avouait préférer conduire son »Berliet GLC 6, par nostalgie, et aussi mon TLM 10 M3« . Parce qu'il les avait conduits, utilisés, usés jusqu'à la corde. » A l'époque, on ne prenait pas soin comme aujourd'hui des camions, rappelle Denis Passenaud, l'un des deux fils de Jacques. II fallait que ça marche, que ce soit utile avant tout. S'il y avait une bosse ou des rayures, on continuait comme ça...« De véritables bêtes de somme, aptes à tout transporter, à affronter des déserts, la glace dans les régions les plus reculées, avec fiabilité et robustesse. Ainsi, le Saurer A, très impressionnant et plus ancien de la collection (daté 1911), qui fut le premier camion à traverser le continent américain d'est en ouest. Un mastodonte de 2 tonnes utiles, mû par un 4 cylindres de 5.341 litres. Transmission par chaînes, pneus à bandages pleins, comme une charrette pour l'esthétique et le principe, moteur à explosion et vitesse (relativement)plus élevée mis à part. » Avec ces premiers pneus à bandages pleins, ce n'est que du caoutchouc, il n'y a pas d'air, l'avantage c'est qu'on ne pouvait pas crever, précise Denis. Par contre, c'était totalement inconfortable« . Et le début d'une aventure, celle du camion, devenu le roi du transport sur terre, avant de nouvelles évolutions, à l'électricité ou à l'hydrogène.

Différents corps de métier représentés

De nombreux corps de métier sont représentés : les pompiers, l'armée, les forains, les routiers, les travaux publics, etc. A l'entrée, trône un beau camion de pompiers, banquette de cuir à i'avant, et deux banquettes en bois en vis-à-vis à l'arrière. C'est un Laffly VM2 de 1925, de 6 cylindres et 19 ch. Les odeurs d'huile, de graisse, de cuir et de bois embaument l'habitacle.

L'emplacement pour les tuyaux est à l'arrière. Souci du détail : des uniformes de pompiers sont disposés sur les banquettes. Jacques Passenaud courait les brocantes pour trouver les accessoires qui allaient donner vie à son univers qu'il faisait visiter gratuitement aux autres passionnés des camions, ou à ceux qui savaient écouter. Car il en avait des choses à raconter. » Jusqu'à ses 90 ans, il se levait le matin, habillé pour le travail, se souvient Denis Passenaud. C'était toute sa vie. Bon, parfois notre mère devait prendre sur elle, nous aussi. Mais il nous a transmis quelque chose d'unique.« Et personne ne lui en a voulu, bien au contraire. Ses deux fils ont travaillé dans le milieu de la ferraille, l'un reprenant l'entreprise Passenaud à Cormenon, devenue Passenaud Recyclage, et Denis créant la sienne à Tours. Catherine, très émue à certains moments, avoue : »On ne se voyait pas reprendre cette collection, c'est trop énorme. Ma mère sera soulagée.« Une collection unique, par un homme unique. Qui a su transmettre l'amour du métier à ses enfants. Oui c'est cela, une histoire de transmission, de savoir et de savoir-faire, par un »archéologue« du monde des camions. II les aura retapés un à un. » lls étaient tous très usés quand il les a récupérés, témoigne Denis. II a fallu refaire les carrosseries, trouver des pièces pour les moteurs, les entretenir. II y a eu une époque où je les voyais démarrer tous les matins. Mon père était une force de la nature.« Un travail colossal et des véhicules devenus rares, dénichés au fin fond de la France. Qui revivront bientôt par l'intermédiaire d'autres passionnés. Ils se reconnaîtront, samedi 30 septembre, dans l'assistance et auront une pensée émue pour Jacques Passenaud. Oh, bien sûr il y aura des empoignades, très codifiées, quand il faudra enchérir. Savoir renoncer aussi. Mais qu'il s'agisse d'un Mantegna, d'un Picasso, d'un Garouste... d'une simple calandre de Citroën ou d'un magnifique Berliet, c'est pour de tels moments que la vie vaut d'être vécue. Par passion, comme Jacques Passenaud.
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