JEAN RENONCOURT, " LE FLEURON DU QUAI"
par Chantal Humbert
"Ma volonté est que … les choses de l'art qui ont fait le bonheur de ma vie
n'aient pas la froide tombe d'un musée et le regard bête d'un passant indifférent".
Edmond Goncourt
Jean Renoncourt, le doyen des antiquaires parisiens, pratique la résolution du fondateur de l'Académie Goncourt en demandant à Mes Philippe et Aymeric Rouillac d'éparpiller sous leur marteau ses collections pour cause de cessation d'activité. Ce sera chose faite les 15 et 16 juin prochains, lors de la 26 ème vente "garden party" au château de Cheverny. La "jouissance", que chacun des trésors accumulés depuis près de soixante ans a procurée à ce grand spécialiste du XIXe, sera ainsi "redonnée à un héritier de ses goûts". Faisons appel à un autre écrivain, Honoré de Balzac, pour dresser le portrait de ce grand mousquetaire du Carré Rive Gauche qui compte plus de soixante dix ans d'activité professionnelle. Le jeune Jean apprenant les A B C du métier aide dès 13 ans ses parents, brocanteurs aux puces de Saint - Ouen.
VIVE LES MÉRIDIENNES!
Mais le jeune homme, ambitieux et audacieux,regarde du côté des antiquaires de la prestigieuse rue Saint-Honoré. Elle célèbre surtout le XVIIIème siècle, notamment le style Louis XV, qu'une magnifique exposition à l'hôtel de la Monnaie désigne en 1974 "moment de perfection du goût français". Les époques classiques et les signatures prestigieuses atteignent toutefois des cotes si élevées qu'un antiquaire débutant ne peut y prétendre. Comme un flamboyant héros balzacien, faisant tout pour gagner la bonne société, Jean Renoncourt brigue de conquérir le marché de l'art en cherchant un créneau où il ne rencontrera aucune concurrence. Pour parvenir à ses fins, il va donc réhabiliter l'atmosphère chaleureuse du style Restauration, avant de se tourner vers la grandeur du Premier Empire. Beau et entreprenant, il sait convaincre et séduire. Après une installation éphémère dans le VIIIème arrondissement, à proximité de l'Élysée, il saisit l'opportunité d'acheter au milieu des années 1970 le magasin de Grogneau et Joinel, à l'angle de la rue des Saint - Pères et des quais Voltaire et Malaquais; idéalement situé face au Louvre, il va devenir sa meilleure publicité. Bénéficiant des Trente Glorieuses et d'une économie internationale florissante, Jean Renoncourt en fait rapidement un haut lieu du décor balzacien. C'est la revanche des petites tables coquettes, bien éloignées des modèles sophistiqués du siècle précédent. Servant de tricoteuses, de jardinières, elles transforment aussi les tables de chevet en somnos… C'est également la vogue des gondoles à l'instar d'une suite de sièges livrés pour la famille royale française. C'est surtout le triomphe des bois blonds tendance col - de - cygne. Les meubles, soucieux du confort, gagnent en légèreté et en souplesse. Les Indispensables psychés ont pour pendant une variété infinie de méridiennes; chargées de coussins, elles attendent les poses alanguies de quelque héroïne romantique. Jean Renoncourt rappelle l'influence de deux d'entre elles sur le style Restauration. C'est d'abord la duchesse de Berry,belle-fille de Charles X. Jeune veuve tragique, jeune mère touchante du duc de Bordeaux, "l'enfant du miracle", elle se passionne pour les arts décoratifs leur apportant tout son charme. Cliente attitrée de l'Escalier de Cristal au Palais Royal, elle craque face aux cristaux scintillants, face aux opalines affichant des tonalités délicates … Une belle brochette venant des collections Castille et Roger Imbert joue de leurs teintes infiniment nuancées.Avec autant d'enthousiasme, Jean Renoncourt évoque la comtesse Zoé du Cayla,autre égérie de la mode Restauration. Quelques objets et meubles provenant de la favorite de Louis XVIII ont appartenu à ses collections telle une magnifique table prêtée au musée d'art et d'histoire de Saint-Ouen. Rivalisant d'ingéniosité pour leur plaire, plusieurs ébénistes obtiennent aussi un renom outre - atlantique. Le président des États-Unis, James Monroe, commande en 1817à Pierre - Antoine Bellangé un ameublement pour la Maison - Blanche. Un superbe lustre éblouissant, réplique des modèles du Salon Bleu (?) témoigne de la virtuosité des ateliers Bellangé.
ORS ET PAILLETTES
Jean Renoncourt, entré en 1995 à la chambre nationale des experts spécialisés, acquiert vite une réputation internationale.A cette époque, il a étendu son commerce au Premier Empire et expose dans son magasin tous les fastes d'une époque alliant solennité et héroïsme. Un dessin de Percier et Fontaine, un meuble de Jacob - Desmalter, des bronzes de Thomire se révèlent les fers de lance du style. Élaborant un important réseau de clientèle internationale, Jean Renoncourt se rend régulièrement en Europe du nord, principalement dans la patrie des Bernadotte. Parti en quête d'objets rares, il resta ainsi bloqué à Stockholm plusieurs jours par moins 34 °. Après la chute du mur de Berlin, l'antiquaire noue des liens solides avec les institutions russes; parmi les anciennes résidences des tsars, il accorde sa préférence aux splendeurs du palais de Pavlosk. Soies et brocarts, bronzes et dorures, pendules, glaces, papiers peints et tapis, peintures et meubles s’ordonnent autour de la gloire napoléonienne. Les lustres en cristal,ornements essentiels des salons d'apparat, brillent d'une richesse extraordinaire. Jean Renoncourt en déniche plusieurs d'une rare élégance à l'instar d'un modèle étincelant de 36 lumières, acheté par le roi Hussein de Jordanie. Fauteuil à griffes de lion, guéridon tripode, table aux pieds griffes et pendule à sujet guerrier se montrent les grands classiques d'un intérieur Empire. Jean Renoncourt les prête volontiers embellis de lauriers et de sphinges aux metteurs en scène, désireux de glorifier Napoléon 1er dans des films. Passionné par son métier, il comprend dans sa clientèle étrangère plusieurs américains francophiles résidant au Texas. Le style Empire attire de grands collectionneurs à l'instar de Rudolf Noureev. Le danseur qui lui rend souvent visite en voisin, lui demande d'emballer à brûle-pourpoint un lustre spectaculaire pour l'envoyer en Russie! L'antiquaire côtoie également dans un registre plus glamour de nombreuses stars comme Grace de Monaco qui l'éblouit de sa beauté et de son élégance. Parmi les personnalités du spectacle, il détache volontiers Charles Aznavour appréciant ses qualités morales et humaines.
"JE NE REGRETTE RIEN!"
Il participe pour la première fois en 1972 à la Biennale des Antiquaires où il expose un piano de Franz Liszt. Jean Renoncourt qui n'a jamais vendu avec nostalgie aime se défaire de ses pièces pour en faire profiter une vaste clientèle tant française qu'internationale. Habitué des foires et des salons internationaux, il fait désormais partie des grands qui règnent depuis des lustres sur le marché des antiquités. Un brin philosophe,Jean Renoncourt a connu sept présidents de la république à l'exemple de Jacques Chirac le distinguant "fleuron du quai". Amoureux de l'objet,l'antiquaire a eu en main plusieurs pièces exceptionnelles à l'exemple d'un luminaire,thème d'une âpre rivalité avec un confrère amstellodamois. Les tableaux, qu'il voit au Louvre et dans les musées enchâsser dans leur cadre, ressemblent pour lui à "des ours en cage". Après sept décennies consacrées au marché de l'art, il milite ainsi pour que les objets, les meubles circulent et fassent le bonheur de ceux qui les apprécient. Cet octogénaire, plein de tonus, délivre au final le bilan d'une vie professionnelle bien remplie en reprenant les paroles de la chanson d'Édith Piaf: "non, je ne regrette rien, ni le bien qu'on m'a fait, ni le mal, tout ça m'est bien égal! C'est payé, balayé et oublié …" En 1990, Jean Renoncourt achète le château de La Huardière,proche de Sully - sur - Loire, qui avait appartenu à l'écrivain André Malraux pour fonder une famille. Travaillant sans cesse et courant le monde, il n'avait pas eu le temps de veiller à sa vie privée. Après l'avoir complètement réaménagé,l'antiquaire l'a récemment vendu à Angela Craciun, présidente de l'Organisation mondiale de minéralogie. Jean Renoncourt reste cependant attaché au Val de Loire. Lorsque qu'il sera libéré de son fonds, il envisage d'y faire de longues promenades pour contempler des paysages chers à George Sand, à Honoré de Balzac ou encore à Alain Fournier …
Chantal Humbert
Chantal Humbert est journaliste à la Gazette Drouot, elle a notamment publié: "Les arts décoratifs en lorraine: de la fin du XVIIe siècle à l'ère industrielle", (l'Amateur, 1996).