Interenchères, le Magazine des enchères, Diane Zorzi
Chaque année, à l’approche de l’été, les collectionneurs, amoureux de l’art et curieux se donnent rendez-vous en Touraine où la maison Rouillac orchestre sur deux jours une vente prestigieuse dans l’enceinte du château d’Artigny, à Montbazon. Ils savent que cette vente Garden Party est le théâtre de découvertes époustouflantes. La 35e édition ne fait pas exception, comptant, entre autres chefs-d’œuvre, un portrait inédit d’Antonietta Gonsalvus, dont la postérité retint la pilosité abondante due à une maladie génétique. Ce tableau jusqu’alors inconnu des historiens de l’art fut peint par Lavinia Fontana vers la fin du XVIe siècle. Décryptage.
L’œuvre arrive à point nommé alors qu’au Musée des Arts décoratifs à Paris une exposition rend compte du traitement « Des cheveux et des poils » dans le monde occidental du XVe siècle à nos jours. Notre tableau, réalisé par la peintre bolognaise Lavinia Fontana (1552-1614), dévoile en effet une représentation en buste de la jeune Antonietta Gonsalvus (ou Tognina Gonzales), dont la postérité retint la pilosité abondante, fruit d’une maladie baptisée « hypertrichose ».
La famille Gonsalvus, objet de curiosité et de prestige
Cette anomalie génétique, Antonietta la partageait avec son père, Pedro Gonzales, et la plupart de ses frères et sœurs. Source de curiosité, la famille s’attira les faveurs de la cour. Né à Tenerife, dans les îles Canaries, Pedro Gonzales fut offert à l’âge de 10 ans au roi de France Henri II qui, au lendemain de son sacre, confia son éducation à des précepteurs royaux, de telle sorte que « l’homme sauvage », désormais appelé Petrus Gonsalvus, devint un modèle d’instruction et de raffinement. A la mort d’Henri II, Catherine de Médicis lui choisit une épouse, Catherine Raffelin, une jeune fille célébrée pour sa beauté, avec qui il aura sept enfants – un mariage heureux qui aurait inspiré la légende du conte La Belle et la Bête.
Antonietta Gonsalvus par Lavinia Fontana
Au décès de Catherine de Médicis en 1589, la famille Gonsalvus est envoyée en Italie, où elle est accueillie par différents membres de la noblesse, à l’instar d’Isabella Pallavicina, marquise de Sorogna qui les reçoit à la suite du duc de Parme. Le parcours familial a été rigoureusement documenté par l’historienne de l’art Merry Wiesner-Hanks qui, dans son ouvrage The Marvelous Hairy Girls : The Gonzales Sisters and their Worlds (Presses universitaires de Yale, 2009), suggère que la rencontre entre Lavinia Fontana et Antonietta Gonsalvus eut lieu un après-midi de l’an 1594. Ce jour-là, le médecin et collectionneur italien Ulisse Aldrovandi étudia en détail la petite fille, livrant une description qui sera incluse dans l’ouvrage Monstrorum Historia, un catalogue d’anomalies humaines et animales publié à titre posthume, en 1642. L’historienne de l’art note qu’« il est possible que Lavinia Fontana, amie d’Aldrovandi, ait été présente ce jour-là également car elle fit plus tard un portrait à l’huile d’Antonietta, qui est aujourd’hui exposé au château de Blois ». Formée auprès de Sophonisba Anguissola, Lavinia Fontana collabora activement à l’élaboration du catalogue d’Aldrovandi qui comptait quelques 8 000 aquarelles.
Un portrait psychologique virtuose
Le tableau présenté aux enchères par la maison Rouillac est comparable à la composition conservée dans la chambre de Catherine de Médicis au château de Blois – comparable, avec peut-être le brin de mystère qui manquait au premier. Les deux tableaux ont en commun de représenter Antonietta en buste, tenant à la main un papier sur lequel ont été apportées quelques notes biographiques, mais l’œuvre de la vente Rouillac est douée d’une aura singulière. Avec ce portrait, Lavinia Fontana parvint à capturer avec virtuosité la psychologie de son jeune modèle qui, loin d’être réduit à un simple objet de curiosité, est décrit avec une douceur toute maternelle, affichant un visage poupon dont l’innocence est déjà teintée d’inquiétude. Ce tableau inconnu jusqu’alors des historiens de l’art sera vendu pour la première fois aux enchères, quittant la collection de la famille Berillon, dont la présence est attestée en Bourgogne depuis le XVIe siècle.