Lot 128
Attribué à Antoine Rabany (Français, 1844-1919), dit le Zouave
Barbu Müller
Pierre volcanique sculptée.
Haut. 37 cm.
Le 59e « Barbu Müller », par Bruno Montpied, juillet 2024.
Etrange destinée des sculptures en roche volcanique, restées longtemps anonymes, que celle desdits « Barbus Müller », sobriquet inventé par Dubuffet vers 1946, pour nommer plaisamment un ensemble de bustes et têtes présentant des caractéristiques stylistiques communes (yeux proéminents, troués ou avec pupilles en affleurement, nez en goutte, bouche sommairement tracée, ou lippue, parfois, mais rarement des barbiches, pas de bras, une matière d’origine volcanique ), avec une allure d’idoles faisant songer à des fétiches, qu’il découvrit chez des amateurs d’art lointain (Charles Ratton, Josef Müller, Henri-Pierre Roché). Leur originalité, leur singularité, les désignent immédiatement à l’attention des esthètes. Dubuffet devina dans cette création sans auteur une rupture avec l’art traditionnel, même si elle relevait à l’évidence de l’art populaire français. Ce dernier recèle souvent ce genre d’authentiques créateurs singuliers, ne se limitant pas au folklore, et cultivant, involontairement ou pas, une indépendance novatrice.
J’ai retrouvé en 2017-2018 l’origine géographique précise de plusieurs de ces sculptures - Chambon sur Lac, dans le Puy-de-Dôme - ainsi que le nom de leur auteur, un paysan, ex-soldat, Antoine Rabany (1844-1919), que l’on surnommait « le Zouave ». J’ai raconté ma découverte, en particulier dans le catalogue de l’exposition « Les Barbus Müller, leur énigmatique sculpteur enfin démasqué ! », tenue au Musée Barbier-Mueller en 2020. Des photos anonymes du jardin où ce Rabany installait ses sculptures au début du XXe siècle, et où il sculptait peut-être aussi (probablement depuis 1907, jusqu’à 1919, date de sa mort), plus des photos prises par un archéologue qui le visita, le tout joint aux rapprochements que j’ai opérés grâce à diverses archives administratives, prouvent qu’il fut l’auteur de plusieurs des sculptures que l’on regroupe sous le sobriquet de « Barbus Müller » depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Grâce à ces photos, et grâce à des comparaisons avec plusieurs statues du corpus des Barbus Müller présents dans diverses collections privées ou publiques, j’ai pu délimiter un groupe de sculptures comme étant indubitablement de la main du seul Rabany.
Il reste cependant que pour toutes celles qui leur sont seulement apparentées stylistiquement, et qui font donc partie du corpus général (agrandi au fil des décennies, les sculptures apparaissant la plupart du temps dans les ventes aux enchères), on ne peut en toute rigueur les certifier comme étant toutes absolument sorties des mains du « Zouave ». C’est pourquoi, dans mes chroniques sur Antoine Rabany, je distingue entre les sculptures certifiées de Rabany et les sculptures seulement « attribuées » à ce dernier.
Le Barbu Müller mis en vente par la Maison Rouillac en ce mois de novembre 2024 fait ainsi partie du deuxième ensemble. Il a toutes les caractéristiques de base des Barbus, mais il ne figure sur aucune des photos des œuvres de Rabany dont j’ai eu connaissance. Il est simple, bénin presque, comme s’il s’agissait de quelque portrait d’enfant ingénu.
Il se rapproche de très près d’une autre effigie qui a été vendue récemment chez de Baecque (vente « Aux Frontières de l’imaginaire », en mai 2023, qui écoulait des pièces entre autres venues de la collection de feu Paul Duchein - ce n’était pas précisé dans le catalogue, mais cela ne faisait guère de doute pour les connaisseurs). Cet autre Barbu-là, très similaire dans sa physionomie, possédait, comme celui de chez Rouillac, au milieu du cou, un renflement annelé, mais n’avait pas, seule différence notable, de couvre-chef (un béret ?). Ce Barbu de la vente de 2023 avait été de surcroît reproduit par Paul Duchein dans son très instructif livre sur l’art populaire de curiosité, La France des Arts populaires, paru chez Privat en 2005.
Il faut donc admettre que le sculpteur des « Barbus Müller » réalisait de temps à autre des variantes sur un même modèle - il en est d’autres exemples dans le corpus, que j’ai évalué à 59 pièces jusqu’à présent - ce qui peut s’interpréter de plusieurs manières : raréfaction de l’inspiration ? Limites des formes disponibles dans le cadre d’une sculpture toute de stylisation et donc condamnée à trouver rapidement des limites formelles ? Ou approfondissement progressif de l’art via plusieurs étapes ?
Sold: 26 000 €