Lot 442
Le témoignage d'un Tourangeau « industriel-agriculteur » de la fin du XIXe
Industriel, ingénieur centralien, constructeur de la gare de Lyon et du Grand Palais de Paris, de la caserne de Saïgon comme d'un marché couvert au Brésil, participant à l'Exposition universelle de 1889, M. Armand MOISANT n'oublia pas pour autant son village tourangeau de Neuillé-Pont-Pierre, où il vit le jour en 1838.
La réussite de ses affaires lui permit d'acquérir en 1878 le château de la Donneterie, vieille demeure tourangelle du XVIIe, où il rebâtit (1878-1889) un important château de style Renaissance dans le goût d'Azay-le-Rideau, contenant un intéressant mobilier néo-gothique.
D'une famille de modestes cultivateurs ― Moisant, républicain épris d'idées libérales et sociales imagina, parallèlement, une ferme modèle ... ― -« Il sut créer dans la partie la plus aride et déshéritée de la Touraine, des exploitations agricoles dont les méthodes de culture lui valurent la prime d'honneur en 1892 et servirent de modèle à tous les cultivateurs de la contrée... » (extrait de La France contemporaine, t. IV).
Sur son domaine de la Donneterie de 615 ha, à Neuillé-Pont-Pierre, il organisa l'exploitation de deux fermes, celle de Thoriau et celle de Platé. Réalisations dans le prolongement des réflexions des Encyclopédistes et des travaux des physiocrates de la fin du XVIIIe siècle ― avec un soupçon de fourriérisme pour certains aspects utopistes.
Elu premier magistrat de sa commune pendant vingt-deux ans, puis conseiller général, il ne se lassa jamais de perfectionner son domaine agricole: canalisation des eaux pluviales, du purin, système autonome de distribution du foin dans les wagonnets sur rail... !
Ce vaste projet, réalisé entièrement, donna lieu à de véritables reportages photographiques en 1879 et après la modernisation en 1889. Les idées de progrès d'Armand Moisant s'exprimèrent aussi dans son souci de représenter son exploitation agricole, céréalière, porcine, laitière...
Au château de la Donneterie l'ensemble de ces documents, certains de grandes dimensions (aquarelles et gouaches de 150 × 120 cm), ainsi que les photos étaient réunis dans une pièce spéciale, à laquelle on accédait par un escalier très étroit. Situé au-dessus de l'escalier principal, au plafond en dôme, tout ce Cabinet d'amateur était tendu de tissus rouge cerise, les œuvres accrochées à des cimaises ou présentées de façon oblique, le tout éclairé par une verrière: surprenant et très original en province! « Un Musée » dans l'esprit des Salons parisiens de la fin du XIXe siècle...
Concrétisation de ses efforts, Armand Moisant, parallèlement président de la Chambre de Commerce de Paris en 1900 et commandeur de la Légion d'honneur, avait plaisir à se retrouver dans l'œuvre tourangelle de sa vie, le « château neuf » de la Donneterie, et à se retirer dans son salon d'exposition, jusqu'à sa disparition en 1906 : cartes, photographies sur papier albuminé, gouaches, aquarelles, plans et relevés, plus de 30 œuvres originales formant un tout cohérent. Témoignage unique d'un phalanstère agricole en Touraine il y a cent ans.
Ultime précision concernant ce domaine modèle : les bâtiments comme l'espace environnant rationnellement organisé de la ferme de Platé ont été classés par le ministre de la Culture, en 1995, Monuments historiques.
Le domaine de la Donneterie est resté dans la famille Moisant jusqu'en 1983, où étaient conservés jusqu'à aujourd'hui les documents que nous livrons :
Laurent Victor ROSE
Série de onze aquarelles sur papier marouflé illustrant la ferme modèle de la Donneterie, représentant respectivement :
― Domaine de la Donneterie. Plan parcellaire. État de l'exploitation en 1878. 94 × 134 cm.
― Domaine de la Donneterie. Plan parcellaire. État de l'exploitation en 1889. 96 × 135 cm.
― Plan d'ensemble de la ferme de Thoriau. 90 × 116 cm.
― Plan d'ensemble de la ferme de Platé. 94 × 116 cm.
― Vue d'ensemble de la ferme de Thoriau. 68 × 103 cm.
― Vue d'ensemble de laferme de Platé. 69 × 103 cm.
― Ferme de Platé. Vacherie-Bouverie. 63 × 98 cm.
― Ferme de Platé. Porcherie. 63 × 98 cm.
― Ferme de Platé. Granges et magasin. 63 × 95 cm.
― Coupe de la beurrerie de Thoriau. 35 × 55 cm.
― Coupe de la porcherie de Platé. 47 × 67 cm.
Signées.
« Laurent Victor ROSE figura au Salon de 1870 à 1874. Il a produit de nombreux dessins industriels. » (Bénézit.)
Ces vues cavalières aux franches couleurs allient réalisme scientifique et une certaine naïveté: l'étude des gestes élémentaires de la vie rurale est inscrite dans un cadre qui n'est pas sans rappeler celui des fermes modèles de l'économie dirigiste: ici, le symbole de progrès n'est pas encore le tracteur mais déjà la machine à vapeur.
Louis-Émile DURANDELLE (1839-1917).
Série de vingt tirages sur papier albuminé représentant l'état de l'exploitation en 1789 (3 de format 35 × 44 cm, 4 de format 19 × 26,5 cm environ) et en 1889 (5 de format 27 × 45 cm, 8 de format 20 × 26,5 cm environ).
La plupart portent un timbre à sec: « Durandelle, 4, Fg Montmartre, Paris ». Louis-Emile DURANDELLE, installé à Paris, 22, boulevard des Filles-du-Calvaire, puis 4, rue du Faubourg-Montmartre, fut actif de la fin des années 1860 jusque dans les années 1890, notamment en collaboration avec Delmaet de 1866 à 1888.
« Spécialisé, comme le précise le prospectus de 1868, dans la "reproduction artistique industrielle et commerciale", l'atelier Delmaet et Durandelle propose ses services à des particuliers» (Catalogue de l'exposition « Photographier l'architecture », Musée des Monuments français, 1994).
Ces photographies de Durandelle illustrent avec acuité les idées particulièrement avancées d'Armand Moisant: elles conjuguent l'aspect documentaire, habituel chez Durandelle (cf. ses photographies sur la construction de l'Opéra de Paris, les fouilles du Louvre, la construction de la Tour Eiffel), à une vision sociologique et ethnographique (intérêt pour les ouvriers agricoles et leurs costumes, par exemple les coiffes des femmes, description des travaux des champs...), irriguée par l'idée de progrès.
« Il apparaît comme un photographe engagé aux côtés des architectes et ingénieurs dans l'exaltation des techniques d'édification, ou simplement du projet esthétique global» (Histoire de voir, de l'invention à l'art Photographique, Paris, 1989). La succession des cycles photographiques de 1879 à 1889 vise à (dé)montrer l'évolution qu'a connue ce «pays », ce terroir du «Jardin de la France », avec l'arrivée d'une volonté réformatrice capable de transcender les contingences locales: constructions de nouveaux bâtiments, rationalisation du travail. Ainsi, en 1889, l'état de l'exploitation reflète la prospérité générée par les idées républicaines.
Joint un portrait photographique d'Armand Moisant, de l'atelier Disderi, pour la France contemporaine.
Adjugé : 9 147 €