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Un amour d'Apollinaire

Samedi 11 mars 2017

La Nouvelle République, Alain Vildart

Philippe Rouillac assure la vente de ces lettres parfois ornées de dessins et calligrammes venues des années 1914-1916. - (Photo NR)
Philippe Rouillac assure la vente de ces lettres parfois ornées de dessins et calligrammes venues des années 1914-1916. - (Photo NR)

Le 3 avril seront mis aux enchères à Vendôme des documents jamais exposés : douze lettres d’amour à une jeune fille au destin tragique, signées Apollinaire.

C'est épatant d'être militaire et je crois que c'est un vrai métier pour un poète. Vous savez qu'il n'y a que les femmes et les civils qui s'occupent de la guerre, nous autres nous nous en foutons ! écrit Apollinaire de Nîmes le 3 janvier 1915 à sa « Chère petite Mireille ». La lettre est même illustrée d'un autoportrait en uniforme d'artilleur avec canon et cheval ! Le poète faisait ses classes : bien que non-Français, il avait tenu à s'engager (il sera naturalisé plus tard).

C'est émouvant de tenir entre ses mains ces feuilles fragiles, de se mettre le nez sur l'écriture « physique » du poète. D'ailleurs elle varie : un coup il écrit au bistrot, un autre du front, le papier sur les genoux.

« Je deviens d'une brutalité merveilleuse. Je crois qu'après la guerre, il faudra pas que des poilus m'em… ent. » Plus loin : « Ne vous souciez pas de la guerre. Elle durera longtemps, il faut arranger sa vie comme si elle devait durer toujours, comme ça quand la paix arrivera ce sera une bonne surprise. »

Certaines cartes arrivent gen Loir-et-Cher : le poète les avaient envoyées à l'adresse parisienne de Mireille, et son père fait suivre vers la belle enfant en vacances. Une autre est cette fois bien adressée « Le Colombier, Ménars, Loir-et-Cher » !

Sombre destin

Qui est cette « chère Mireille » ? Mireille Havet, une « surdouée » qui dès 15-16 ans (l'âge auquel Apollinaire lui écrit), évolue parmi les peintres et les poètes : Paul Fort, Morand, Louis Chadourne. Elle jouera le rôle de la Mort dans Orphée de Jean Cocteau…

« Aller droit à l'enfer par le chemin même qui le fait oublier. » C'est ce qu'elle fait : l'étoile filante de la littérature (un livre seulement), amazone lesbienne des Années folles, se drogue à mort. « Je serai abracadabrante jusqu'au bout. » La « petite poyétesse » et « gonzesse de premier ordre » selon les propres mots d'Apollinaire, ex-promise à tous les succès, mourra de tuberculose dans la plus vile misère à 34 ans, en 1932.

Coureur éternel, Apollinaire était-il sérieux dans ses propos – il part au front, sera trépané – ou ses amours ? C'est bouleversant de lire aujourd'hui :

« Et ce fil vous rejoint et par monts et par vaux
O Mireille, Avenir, Mireille, ô temps nouveaux
Ainsi tâchais-je en vain, qui sait ? de vous comprendre
Moi, le sang à couler et la prochaine cendre. »

Entre tristesse et enthousiasme, on se prend à rêver devant cette « main amie » qui signe « Guillaume Apollinaire ». - (Photo NR)


• Dominique Tiry (Lestiou, Loir-et-Cher) est la petite-fille de la dernière amie de Mireille Havet. C'est dans son grenier qu'elle trouve en 1995 lettres et « Journal de Mireille », que le monde découvre avec stupéfaction. Exposition à l'hôtel des ventes à Vendôme vendredi 31 mars et lundi matin 3 avril. Vente dès 14 h, avec Aymeric et Philippe Rouillac, commissaires-priseurs, Thierry Bodin, expert. Tél. 02.54.80.24.24. www.rouillac.com

Alain Vildart
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