Coupe aux chrysanthèmes par Gallé
Lundi 02 avril 2018
vers 1894-1897
Numéro 43 de la vente
Émile Gallé (1846-1904)
Coupe aux chrysanthèmes
de forme circulaire, à godrons torsadés sur piédouche, en cristal taillé à la roue de fleurs de chrysantèmes en camées prises dans des toiles d'araignées, émaillées et cernées à l'or. Signée "Gallé" à la pointe sur le piédouche.
Vers 1894-1897.
Haut. 23, Diam. 28 cm.
Provenance : d'après la tradition familiale, vase acquis par Hippolyte de La PERCHE-BOYER (Paris, 1856-1935), par descendance, ancienne collection bordelaise.
Décor symbolique et dimensions spectaculaires
Si Gallé reprend ici certaines des techniques de son célèbre vase à "La Carpe" de 1878, conservé au musée des Arts décoratifs (Inv. A 86), il nous livre une coupe dont les grandes dimensions dépassent la spectaculaire coupe à "La Libellule" - son record d'enchères publiques (vente Est Ouest Auction, Tokyo, 8 mars 2008, 634.000 €).Le décor japonisant époustouflant de notre coupe se développe sur tout le vase, réceptacle et piédouche, une gravure de fleurs de chrysanthèmes, marguerites, dahlias et feuilles d’arbre caramel en camée dans le cristal, sur un lit de toiles d'araignées.
La nature n’est pas source d’inspiration nouvelle dans l’histoire de l’art. Mais à Nancy, son éminente présence conduit au renouveau du vocabulaire esthétique jusqu’alors dominé par les ornements antiques. Parcs, jardins et promenades sont en effet nombreux dans la cité nancéienne, à commencer par le parc de la Pépinière, ouvert au public en 1835. C’est dans ce terreau fertile et dans son propre jardin, qu’Émile Gallé observe, compare et étudie les formes végétales en érudit éclairé, sinon véritable scientifique. Ses riches travaux botaniques concourent à prouver son exigence intellectuelle. Quatre étapes précèdent chacune de ses œuvres de verre et de céramique : « Herborisation. Herbier. Croquis. Aquarelle » . La réalisation de cette coupe ne semble transiger à ce travail méthodique. Gallé transcrit en effet dans cette œuvre la fidélité de la nature, mais se joue aussi du langage des fleurs. À la marguerite gerbera est associé le sentiment de gaieté, tandis que le dahlia est symbole d’allégresse, de changement ou de reconnaissance. Fleur de la Toussaint, le chrysanthème, au-delà des frontières européennes, est fort de significations joyeuses et d’amour. De surcroît, il est au Japon la fleur de la famille impériale. La toile d’araignée est quant à elle synonyme de créativité. Cette coupe est alors un véritable bouquet de joie à qui veut comprendre le sens.
Le musée du Petit Palais à Paris conserve également un vase au décor proche daté vers 1896 (OGAL596) et présenté lors de la récente exposition "Poèmes de cristal : de Gallé à Lalique, les verreries Art nouveau du Petit Palais" . Rehaussé d'émail rouge-saumon et doré à l'or, notre coupe est signée "Gallé" à la pointe sur le rebord du piédouche. Cette signature est comparable à d’autres relevées sur certaines pièces livrées entre 1894 et 1897, d’autant qu’elle est utilisée par l’artiste durant la période de 1894 à 1904 .
Une coupe pour l'Exposition Universelle ?
La tradition familiale veut que cette coupe ait été acquise par le comte Hippolyte de La Perche-Boyer (1856-1935), petit maître et collectionneur bordelais. Le comte de La Perche produit en effet quelques portraits dont celui de Séraphine Frotier de la Messelière . Les sources permettant d’établir la biographie de ce dernier sont inexistantes. L’absence de sa mention dans les catalogues du Salon confirme son statut de peintre amateur.Émile Gallé triomphe à l’Exposition universelle de 1889 durant laquelle il est fait chevalier de la Légion d’honneur. Il profite d’un succès remarquable à l’aune des années 1890. S’il diffuse massivement ses réalisations en France, il le fait également à l’étranger où il ouvre plusieurs dépôts de vente notamment à Francfort en 1894 et à Londres en 1901 . En revanche à Paris, l’artiste entrepreneur confie la vente de sa production à la dynastie de marchands des Daigueperce. Installé à Paris au 34, rue des Petites-Écuries puis au 12, rue Richer, Marcelin Daigueperce (1843-1896) est le principal concessionnaire de Gallé à partir de 1879. Son fils Albert reprend l’entreprise familiale à partir de 1896 . Gallé semble nouer avec eux une relation de confiance partagée, voire d’amitié, tout en surveillant attentivement les échantillons exposés en magasin .
Toutefois, l’œuvre de Gallé se diffuse abondamment en dehors des réseaux de galeries et de marchands. C’est principalement à ses dépositaires officiels que revient la tâche d’organiser la présentation de ses œuvres lors des expositions et autres salons. Lors de l’Exposition universelle de 1900, Gallé se distingue par deux Grands Prix, au côté d’une cinquantaine d’artistes lorrains dont Daum et Majorelle. La plupart de ses pièces sont présentées dans la classe 73 formant le groupe XII « Décoration et mobilier des édifices publics et des habitations » en plus d’une section réservée à la verrerie artistique . En raison du faste déployé pour cette exposition, Gallé ne parvient à couvrir les frais engagés. En effet, la reconstitution d’un four verrier associé à la présentation d’un nombre considérable de verreries entraînent d’importantes dépenses. Pour cette exposition, il livre la description de ses œuvres au travers d’un catalogue descriptif et d’un guide destinés à quelques visiteurs privilégiés. Toutefois, leur conservation est aujourd’hui inconnue. Il est possible que notre coupe ait figuré parmi la myriade de verrerie présentée. Spectaculaire par ses dimensions et le faste de son décor, cette pièce se rapproche par ailleurs d’une coupe sur piédouche présentée à l’extrême droite de la vitrine « les Granges » du stand de l’Exposition de 1900.
Anonyme, Vitrine les Granges du stand Émile Galle lors de l’Exposition Universelle de 1900, 1900, Nancy, Musée de l’École de Nancy, Fonds photographie Gallé.
Compte tenu de l’origine bordelaise de son premier propriétaire, les riches Salons artistiques de Bordeaux peuvent avoir été le lieu d’acquisition pour le comte de la Perche. C’est par l’intermédiaire de ses marchands, le célèbre Samuel Bing propriétaire de la galerie « L’Art Nouveau » ainsi que du fidèle Albert Daigueperce, que Gallé participe à deux reprises aux expositions bordelaises de 1898 et 1900. Celles-ci sont organisées respectivement par la Société des Amis des Arts fondée en 1851 et la jeune Société d’Art Moderne formée à la veille de cette exposition . Si en 1898 Gallé n’expose qu’une grande bouteille rose et blanche, il est possible que figure parmi les trente-et-un objets présentés en 1900 cette coupe aux chrysanthèmes .
Cette coupe aux chrysanthèmes s’inscrit parfaitement dans l’œuvre de Gallé en général, dans son travail des années 1894-1904 en particulier. En considération de son riche décor, de ses belles dimensions et des rapprochements avec des pièces comparables de ces années de production, rien n’empêche de supposer que cette extraordinaire coupe ait figuré parmi les réalisations de l’Exposition universelle de 1900, faisant d’elle un Gallé historique.
Brice Langlois
Bibliographie :
• BARDIN, Christophe, « Le jardin, un outil au temps de l’Art nouveau », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, n°26, 2015, [en ligne], http://journals.openedition.org/bcrfj/7485
• DUSSOL, Dominique, Art et bourgeoisie : la Société des Amis des Arts de Bordeaux, Bordeaux, Le Festin, 1997.
• FERNANDEZ, Serge, SANCHEZ, Pierre, Salons et expositions Bordeaux 1771-1950, t. II., Dijon, Éd. L’Échelle de Jacob, 2017.
• MOREL, Dominique, Poèmes de cristal : de Gallé à Lalique, les verreries Art nouveau du Petit Palais, Paris, Petit Palais, 1er juin-30 septembre 2012, Arles, Actes Sud, 2012.
• LE TACON, François, Émile Gallé ou Le mariage de l’art et de la science, Paris, Éditions Messenne , 1995.
• LE TACON, François, Émile Gallé l’amour de l’art, Nancy, Editions place Stanislas, 2008.
• THIEBAUT, Philippe, Émile Gallé, Le magicien du verre, Paris, Gallimard, 2004
• THOMAS, Valérie, « Émile Gallé, de la fleur à l’atelier », Fleurs et ornements, Nancy, Musée de l’École de Nancy, 24 avril-26 juillet 1999, Paris, RMN, 1999
Remerciements
Christophe GARLAND, fondateur du site Le Verre, le Cristal et la Pâte de Verre.
Emmanuelle POTDEVIN, de l'Université de Tours.