Connaissance des arts, Céline Lefranc
Tagawa Hiroshige, Les Vues célèbres des soixante et quelques provinces, album de soixante-neuf estampes édité par Koshimuraya Heisuke entre 1853 et 1856, format Oban tate-e, 36 x 26,5 cm, estimé entre 20 000 € et 25 000 €. ©Rouillac
Dimanche 16 juin, Maîtres Rouillac père et fils organisent leur traditionnelle vente « garden-party » au château d’Artigny, en Touraine. À l’affiche, cet album complet d’estampes d’Hiroshige qui témoigne de la redécouverte des paysages du Japon après deux siècles de restrictions.
Des lacs radieux, des montagnes enneigées, des cerisiers en fleurs… C’est à un éblouissant voyage à travers le Japon que nous invite aujourd’hui encore Utawaga Hiroshige (1797-1858) avec cet album des Vues célèbres des soixante et quelques provinces, publié entre 1853 et 1856. Comme l’explique l’expert Véronique Prévot, qui a fait des recherches en prévision de la vente Rouillac du 16 juin, le Japon sortait de deux siècles et demi du Shogunat de la famille Tokugawa (1603-1867), qui avait imposé de strictes restrictions. Parmi elles, l’interdiction de se déplacer dans le pays sans autorisation, décidée afin de limiter le pouvoir des seigneurs riches et puissants, les fameux daimyo, qui risquaient de renverser le pouvoir en place. « Au cours du XIXe siècle, les règles se sont assouplies. Les artistes Hokusai et Hiroshige ont pu voyager et ont été les artisans de la redécouverte de la beauté et de la variété des paysages nippons. » Même si sa reliure est usée et s’il manque une des deux pages de sommaire, l’album a la chance de réunir les soixante-neuf gravures de la série. Collecté en 1860 par le capitaine Gustave-Victor Laveuve, alors qu’il était aide de camp du général Jamin lors de la deuxième guerre de l’opium en Chine, l’objet a été très bien conservé par les deux familles qui l’ont successivement possédé, et il a gardé une belle fraîcheur de coloris. L’album est estimé entre 20 000 € et 25 000 €, ce qui est en deçà des enchères obtenues par les rares pièces comparables passées en vente ces dernières années. Véronique Prévot souligne un « détail très intéressant, mais dont on ignore comment il sera appréhendé par les collectionneurs purs et durs d’estampes japonaises : les gravures portent au dos un texte qui figurait sur du papier vraisemblablement resté en stock chez l’imprimeur et réutilisé pour l’occasion ». Il s’agit ni plus ni moins d’un texte de santé publique donnant aux populations des conseils pour lutter contre l’épidémie de choléra qui frappa le Japon en 1853, sans doute favorisée par la levée de l’interdiction de voyager… Un texte sans rapport direct avec Hiroshige, mais qui illustre parfaitement ce contexte historique si particulier.