L'Express, Franck Gallard
Expertisé comme un authentique Cranach, un petit tableau peint en 1532 a atteint une cote exceptionnelle
C'est un tableau de petite taille, un panneau de tilleul, une planche non parquetée de 52,5 x 37 centimètres. Il s'intitule Vénus et l'Amour voleur de miel. Un couple, installé dans le Val de Loire, le possède depuis que le grand-père, passionné d'art teuton, l'a acquis en 1898 sur les quais, à Paris. Depuis, l'oeuvre est restée accrochée sur le mur d'une chambre, à la merci des mouches et de la poussière. Il y a quatre ans, Philippe Rouillac, commissaire-priseur à Vendôme, est mandaté pour en faire l'expertise, la pièce ayant besoin d'être restaurée. Selon le monogramme et le blason, l'auteur serait Lucas Cranach (Kronach, 1472 - Weimar, 1553), considéré comme le Léonard de Vinci d'outre-Rhin. Si le tableau est un vrai, c'est un peu comme si l'on avait retrouvé une Joconde peinte dans la jeunesse du célèbre Florentin. Convaincu qu'il vient de découvrir une pièce exceptionnelle, Me Rouillac circule pendant quatre années d'expert en musée, pour aboutir en Suisse, chez le Pr Kohpplin, le spécialiste de Cranach. Lequel, persuadé d'avoir une nouvelle fois affaire à une copie, se fait tirer l'oreille avant d'admettre, sidéré, que Vénus et l'Amour voleur de miel est bien une oeuvre de Cranach. Le tableau, peint en 1532, semble plus abouti, plus fin, plus léger que les variantes qui lui ont succédé, dont la plupart sont exposées dans les plus prestigieux musées, à Paris, au Louvre, à Londres, New York, Rome... Il s'agit de l'un des premiers nus de l'histoire de la peinture païenne, réalisé au moment où Cranach travaillait comme peintre officiel à la cour de Jean le Constant, Electeur de Saxe. Pendant que ce bien de famille sommeillait tranquillement dans cette chambre obscure, les derniers tableaux connus du peintre se vendaient à New York entre 4 et 6 millions de francs. Dimanche 10 juin, à Cheverny, Vénus et l'Amour voleur de miel était mis aux enchères à 2 millions de francs. Le tableau est parti à 16 millions (frais inclus), dépassant ainsi, pour une pièce, toutes les ventes depuis le début de l'année. L'acquéreur, M. Bernheimer, l'un des plus importants galeristes d'Europe, devrait remettre, une fois restaurée, cette oeuvre sur le marché.