Les panthères de Bugatti rugissent vers un nouveau record...
Mardi 21 avril 2020
par Véronique Fromanger
Deux panthères marchant par Rembrandt Bugatti, 1905.
1 364 000 € (2019)
1 364 000 € (2019)
"Alors que le Salon d’automne de 1905 bat son plein avec le scandale des « Fauves », c’est dans le silence du Jardin des plantes à Paris, face aux enclos des panthères, que le jeune sculpteur Rembrandt Bugatti s’apprête à révolutionner la sculpture. Faisant corps avec l’animal, il modèle dans la plastiline un portrait fidèle et plein de vérité de l’animal, faisant éclater les barreaux de la cage et du zoo et lui rendant sa liberté. Ce couple de panthères marchant, le mâle devant, la femelle derrière, est un de ses chefs-d’œuvre. Vendu pour 2 000 francs par son marchand Hébrard en 1906 au collectionneur André Bernheim, le bronze est doté d’une fabuleuse patine polychrome, qui répond à l’harmonie ferrugineuse du socle en marbre. Restée depuis l’origine dans la même famille, la vente de cette formidable sculpture impressionniste défie les sommets, loin devant toutes les autres panthères déjà vendues, même celles de la prestigieuse collection d’Alain Delon."
extrait de "Adjugé ! La Saga des Rouillac"
240 pages, 450 photos, 39 € aux éditions Monelle Hayot
Reportage d'Audrey Champigny sur TV Tours
Rembrandt BUGATTI (Milan, 1884 - Paris, 1916)
"Deux panthères marchant", 1905.
Modèle créé en 1905, épreuve en bronze à patine brune, n°1.
Fonte à la cire perdue d'Adrien Aurélien Hébrard.
Signé " R.Bugatti " sur la terrasse et daté (1)"905".
Cachet du fondeur " Cire perdue A.A Hebrard ".
Numéroté "1" sur la terrasse. Tirage limité à trois exemplaires.
Haut. 23, Long. 101,5 Larg. 25,5 cm.
Poids du bronze 18,9 kg.
Sur son socle de la maison Hébrard en marbre "vert maurin" ou "vert de mer", avec des inclusions ferrugineuses répondant à l'exceptionnelle patine polychrome du bronze.
Haut. 7,5 Long. 97,5 Larg. 29,5 cm.
Haut. totale 32 cm.
Provenance
Collection André Bernheim (1879-1966), pour la décoration de son appartement du 81 rue de Lille à Paris ; par descendance.
Œuvres en rapport
- Le plâtre de cette oeuvre, conservé au musée d'Orsay à Paris (réf. 3576), est décrit ainsi dans les archives Bugatti : « Deux panthères marchant = mâle patte avant levée et femelle, similaire à la troisième du groupe précédent ».
- Un autre bronze de ce modèle a été présenté en vente publique, sans numéro de tirage, avec une patine bruns nuancés, vente Sotheby’s, Londres, le 4 avril 1990, « The Property of Alain Delon », n°274.
Littérature
Véronique Fromanger, Une trajectoire foudroyante, Rembrandt Bugatti, sculpteur, répertoire monographique, les éditions de l'Amateur, modèle répertorié sous le n°127 Deux panthères marchant (C.R.1987 p. 117 et R.M 2010), Les éditions de l'Amateur, Paris, réédition de 2016, p.298 et p.53.
Exposition temporaire
1906, "Collection A.A. Hébrard, fondeur d'art", Galerie A-A. Hébrard, Paris (bronze, titré "Deux Panthères, 26 x 98 x 25 cm, exécution limitée à trois cires, (2000 francs)".
André Bernheim
Né le 22 octobre 1879 à Toul en Meurthe-et-Moselle, André Bernheim investit dans l’immobilier à Paris, où il épouse à la mairie du VIIe arrondissement le 18 juin 1907 la pianiste Suzanne Cohen, élève d’Alfred Cortot. Le couple fréquente les galeries d’art, meublant avec goût leur appartement du 81 rue de Lille. On y retrouve une toile postimpressionniste par Picabia, comme un Baiser de Rodin aux côtés de ce bronze. Exposées par Hébrard pour la première fois dans sa galerie en 1906, ces Panthères marchant sont alors proposées pour la somme de 2 000 francs. En 1921, l’appartement est décoré par le duo Sue et Mare ; les meubles imaginés pour les Bernheim sont d’ailleurs inscrits sous ce nom dans la « liste des modèles créés à ce jour et portés au livre de références » des décorateurs en 1927. Éprouvé par la disparition de son épouse en 1922, André Bernheim est frappé une seconde fois par le malheur, avec la mort en déportation de sa fille ainée. Intime du peintre Lévy Dhurmer, dont il est le mécène, André Bernheim sera aussi son légataire et exécuteur testamentaire. Il décède à Paris le 12 février 1966.Deux panthères marchant par Bugatti et A.A. Hébrard par Véronique Fromanger
Dans le souffle vital du début du XXe siècle, servi par un fondeur-éditeur génial, A.A. Hébrard, le jeune sculpteur Rembrandt Bugatti a su capturer, en toute sincérité et vérité, le langage des animaux sauvages.Dans toute l’histoire de l’art, depuis l’art pariétal des hommes préhistoriques jusqu’à nos jours, on peut célébrer l’oeuvre de Rembrandt Bugatti comme étant l’une des plus remarquablement vivantes, puissantes et saisissantes.
Le groupe des Deux panthères marchant en donne la preuve la plus réelle : les panthères sont saisies dans un mouvement, dans une action, dans un geste qui montre la vie « la présence de l’un à l’autre avec calme, tranquillité, sérénité, volupté à être ensemble ».
Dans ce groupe, à l’origine composé de trois panthères, Rembrandt Bugatti et A.A.Hébrard ont privilégié le mâle et la jeune femelle, en marche ; leurs postures et leurs silhouettes massives et puissantes n'enlèvent rien à leur infinie souplesse, agilité, vivacité, flexibilité.
Pendant la période des amours, les panthères abandonnent provisoirement leur solitude pour une éphémère vie de couple à deux ou plusieurs. Rembrandt Bugatti a su capter le contact permanent qu'ils entretiennent entre eux et les marques subtiles d'affection qu'ils se témoignent avec cette sensualité unique qui n'appartient qu'aux félins.
En 1905, à la Ménagerie du Jardin des Plantes, tous les jours, Bugatti vient voir les panthères, « ses compagnons d’existence et de travail ». Il fait connaissance avec les hommes qui les nourrissent et qui les soignent. Ensemble ils parlent mi-français, miitalien, pour pouvoir se comprendre et commenter leurs réactions, leurs habitudes, leurs caractères. La connaissance du comportement animal au début du XXe siècle fut principalement réalisée par l’étude des animaux sauvages vivant en captivité ou les zoos.
À force de voir, d’écouter Rembrandt Bugatti, de le flairer, les panthères sont moins agressives et se laissent aller au naturel dans leur espace clos. Dans leur démarche légère et puissante, « souple et feutrée », Bugatti a su capter toute l’énergie, le dynamisme, la magie fascinante de l’animal sauvage, en les façonnant et modelant.
Bugatti modèle son sujet sur le vif, d’un seul jet jusqu’à son achèvement, sans croquis préparatoire ni photographie, sans reprise ni à l’atelier ni au moulage. Puis son fondeur-éditeur exclusif A.A.Hébrard réalise l’édition originale en bronze. Au début du XXe siècle, A.A. Hébrard va créer l’alliance entre l’art et l’industrie en appliquant à la statuaire d’édition un sens nouveau révolutionnaire : un objet d’art devient une œuvre d’art par un procédé industriel artistique. Ainsi « la reproductibilité » devient une propriété essentielle de l’oeuvre d’art sans qu’elle ne perde son « aura », son caractère organique, original et authentique.
Le témoignage de l’écrivain Marcel Schiltz, plus tard à Anvers, n’en est que plus profond : « Bugatti est un jeune homme d’une extrême sensibilité, il en imprègne ses sculptures, il nous la transmet, tel un magicien qui dompte la matière et la métamorphose. Ce n’est pas à lui qu’il eut fallu dire que les animaux n’ont pas d’âme : il la découvre, la fait revivre sous ses mains d’artiste. Et c’est en quoi réside probablement le secret de ce créateur, le don qu’il possédait et qui reste vivace dans tout ce qu’il a produit ».