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Départ immédiat pour le bord de mer !

Samedi 16 mai 2020 à 07h

Cette semaine, un couple de lecteurs de Romorantin nous fait parvenir la photographie d’un tableau. Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, donne son avis.



Le 11 mai dernier s’est présenté pour de nombreux français comme un retour à la réalité. Après deux mois confinés, nous avons retrouvé la liberté… conditionnelle ! En effet, l’envie de prendre l’air au bord de la mer restera un rêve quelque temps encore, le périmètre de 100 kilomètres, réduisant le champ des possibles. C’est là que la toile de nos lecteurs entre en jeu pour compenser cette difficultés en nous invitant à prendre la mer.

Des pêcheurs préparant leurs filets voguent à bord de bateaux à voiles et autres barques vers le grand large au petit jour. Ils sont suivis par un cortège de mouettes appâtées par le poisson. La mer sombre et les nuages gris, d’où émerge un soleil se reflétant dans les vagues, est universelle. Est-ce l’océan Atlantique, la Manche ou la mer du Nord ? La signature du peintre apposée en bas à droite du tableau est un indice pour déterminer le lieu représenté. Ainsi nous pouvons lire « G. CORBIER » pour Gaston Corbier (1869-1945). Le peintre est connu pour ses marines du littoral charentais et ses paysages près de Saintes. Ce « petit maître » propose une touche picturale épaisse s’émancipant des détails superflus. Ses tableaux offrent un travail remarquable sur la couleur et le traitement de la lumière, comme en témoignent les reflets du soleil sur la mer.

Gaston Corbier subie l’influence des plus grands maîtres de la peinture de la seconde moitié du XIXe siècle. Gustave Courbet, Jean-Baptiste Camille Corot ou Hippolyte Pradelles sont ses mentors. Et pour cause, tous ces artistes ont rejoint à un moment ou à un autre le peintre rochefortais, Louis-Augustin Anguin, à Port-Berteau près de Saintes entre 1861 et 1863. Là, ils se sont réunis pour peindre la nature sur le motif, c’est-à-dire en plein-air. La présence de ces peintres de renom participe à la fondation de l’école de peinture appelée aujourd’hui « École de Port-Berteau ». Mais il ne faut pas se méprendre sur le mot « école ». Ni Courbet, ni Corot n’y ont donné de leçons à de jeunes artistes au sein d’une institution. Le terme « École de Port-Berteau » est employé pour définir un rapprochement de peintres œuvrant au sein d’un même courant pictural et en un même lieu. On trouve également au XIXe siècle, « l’École de Barbizon » dans la forêt de Fontainebleau, dont le maître est Jean-François Millet, ou « l’École de Pont-Aven » en Bretagne, où Paul Gauguin travaille entouré de ses amis du mouvement nabi.

L’héritage artistique de Gaston Corbier se manifeste donc dans ses coups de pinceaux repris des grands maîtres en général et dans le tableau de nos lecteurs en particulier. Mais comme de nombreux suiveurs, Gaston Corbier n’a pas laissé une trace importante dans l’histoire de l’art. Les révolutionnaires sont souvent préférés aux gardiens de la tradition ! Ce sentiment se retrouve dans sa cote. En 2019, Gaston Corbier était classé 46.697e artistes sur le marché de l’art, en ce qui concerne le montant total de ses ventes, soit1.750 € pour 10 tableaux vendus. C’est bien faible en comparaison de l’artiste numéro un, « l’ogre » Pablo Picasso avec 260 millions d’euros pour 3.430 œuvres... En considération des dimensions et du sujet illustré, notre tableau peut être estimé autour de 150 euros, soit le prix d’une amende si vous enfreigniez la distance de 100 km pour aller voir la mer… Il vaut donc mieux rester chez vous à contempler ce tableau et attendre l’été pour vous retrouver face à l’immensité bleue salée !
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