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Un pont entre Blois et le Portugal…

Samedi 20 février 2021 à 07h

Cette semaine, Claude, une lectrice fidèle de Blois nous fait parvenir la photographie d’un tableau acquis au Portugal. Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, partage son avis.



Notre chère lectrice nous raconte l’origine de son acquisition. Dans les années 1985, Claude achète cette œuvre dans un magasin de la banlieue d’Aveiro, ville située au sud de Porto au Portugal. Dans cette échoppe où l’on vend des tableaux et des pommes de terre, elle chine cette toile de soixante-quinze par cent-vingt-cinq centimètres. Il n’est pas rare de lire dans la presse les histoires de chefs d’œuvre trouvés par hasard, mais ce ne sera pas le cas du tableau de Claude. Ces découvertes fortuites restent des exceptions…

Notre tableau est construit sur deux plans étagés au milieu de la toile. Le premier plan figure une scène lacustre avec rivière et prairie, le second plan plus vaporeux dévoile montagnes et ciel. Quatre éléments viennent perturber la scène : trois groupes d’arbres et une maison. Ces derniers traversent la ligne médiane pour rendre la composition plus dynamique. Au premier-plan l’image est encore coupée en deux, la partie gauche avec une barque et des arbres aux couleurs froides, la partie droite avec la maison et une prairie aux couleurs plus chaudes. Au milieu, un pont relie les deux rives, à notre sens il est le véritable sujet du tableau.

La structure de cette œuvre, n’a rien d’original, mais elle démontre une certaine compréhension de l’espace et des habitudes de peintre. Il ne s’agit pas de l’œuvre d’un artiste amateur, mais au moins d’un semi-professionnel. La signature en bas à droite résiste à notre déchiffrage, « agerudet ? » ou « cegrudet ? », l’auteur n’est pas référencé dans les ventes publiques. Il fallait le vérifier même si on s’en doutait.
Dernier élément manquant à une expertise exhaustive, une photographie du revers de la toile est toujours appréciée. En effet, le type de châssis utilisé, comme la couleur de la toile et son aspect, racontent beaucoup d’un artiste. Tel un grand cuisinier qui travaille avec les meilleurs mets et les meilleurs ustensiles, un bon peintre utilise du bon matériel.
Si on ne peut pas être définitif sur l’origine de l’auteur de cette toile, on imagine aisément les artistes qu’il affectionne.
L’une des grandes innovations picturales du XIXe siècle consiste à peindre sur le motif. Cela signifie que les peintres quittent leurs ateliers pour poser leurs chevalets en plein air. Cette révolution est permise par l’invention de la peinture en tube. C’est l’évolution du matériel qui entraine la nouvelle manière. Théodore Rousseau, Camille Corot apparaissent comme les chantres de l’école de Barbizon, le premier groupe d’artistes partis à la conquête de cette façon de peindre. Si l’œuvre de Claude évoque immanquablement l’école de Barbizon elle s’en détache aussi brutalement. Pas uniquement par ses couleurs acides, qui peuvent être considérées comme un style revisité, mais par son essence même. L’œuvre de Claude - peu importe sa qualité - est pensée et construite, elle n’est pas fugace et virtuose.

Son sujet, le pont, est parmi les plus traité dans l’histoire de l’art. Des enluminures de Jean Fouquet au Moyen-Âge en passant par la Joconde à la Renaissance pour finir dans les nymphéas de Monet, le pont est un symbole de transition. Matériellement il permet également de lier les différents plans, faisant de lui un élément à la fois métaphorique et utilitaire.
Ce genre de tableau a été à la mode dans les années 1980, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Avec son cadre et ses dimensions importantes on l’estimera entre 50 et 100 euros. Sa valeur symbolique doit être supérieure pour Claude… un souvenir faisant le pont entre Blois et le Portugal !
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