« Mon royaume pour un cheval »… en cristal !
Samedi 12 juin 2021 à 07h
Cette semaine, Marie-Claire, nous fait parvenir la photographie d’une tête de cheval. Philippe Rouillac, commissaire-priseur, partage son avis.
Si notre lectrice ne nous précise pas la présence d’une éventuelle signature, qui se trouve généralement sur un côté en partie inférieure ou dessous la pièce, nous reconnaissons ce sujet en cristal au premier coup d’œil. Pour tous les amateurs de ventes aux enchères, de brocantes ou foires aux antiquités, cette tête de cheval est l’un des modèles les plus fameux de la manufacture cristallière Daum.Mais il y a Daum et Daum ! La manufacture est fondée en 1878 par Jean Daum à Nancy après l’annexion de l’Alsace-Lorraine due à la défaite de 1870. Si le succès tarde à arriver en raison d’une mauvaise santé financière, l’entreprise rencontre la gloire au début de sa production artistique dirigée par Antonin Daum, suivant le chemin tracé par Émile Gallé. Des vases en verre multicouche à décor gravé à l’acide de bouquets de fleurs sont ainsi produits. La manufacture reçoit ses lettres de noblesse en 1900 à l’Exposition universelle où elle est récompensée d’une médaille d’or. De toute évidence, le cheval de notre lectrice n’a pas été produit durant cette période de prédilection. Plus contemporain, il date de la seconde moitié du XXe siècle. Après-guerre, la pénurie de pigments pour colorer le verre incite les verriers à se tourner vers le cristal. Antoine Froissart, le petit-fils d’Antonin, met ainsi au point une matière particulièrement transparente et brillante. Elle est obtenue grâce à une proportion importante d’oxyde de plomb allant jusqu’à une hauteur de 40% maximum, qui s’ajoute aux composants traditionnels du verre que sont la silice et les fondants. Ces pièces sont obtenues par moulage grâce à une température de fusion de 1450°. Il ne s’agit pas d’une pièce unique de commande qui aurait été réalisée à la main, avec une pince pour représenter la crinière.
Les artistes de tous les mouvements artistiques participent à ce phénomène d’édition de sculptures en cristal. On peut citer par exemple le nouveau réaliste César, le surréaliste Dali ou Ben le plus fameux des artistes Fluxus que les blésois connaissent si bien par son intervention à la Fondation du doute. L’auteur du modèle de cette tête de cheval reste anonyme, comme ceux d’un grand nombre de petits sujets animaliers édités par Daum. Si les oiseaux sont les plus connus, d’autres animaux sont reproduits. Un trophée de cerf en cristal beaucoup mouvementé est par exemple présenté dans la salle à manger des petits appartements privés du château de Cheverny. Pièce unique ! Il est vrai que ces sujets s’adaptent particulièrement bien à la réalisation de trophées ou autres récompenses. Outre le « V » des victoires de la musique distinguant annuellement les meilleurs artistes de variétés, nous aurions pu imaginer cette tête de cheval coiffer un trophée de concours hippique. Et pourquoi pas celui des jeux olympiques en plus des médailles pour les épreuves de sauts d’obstacle, cross-country ou dressage ? L’idée aurait été séduisante surtout si le comité des JO avait retenu Lamotte-Beuvron comme lieu d’organisation de ces épreuves. Mais ce concours aura lieu à Versailles... La Sologne aurait vraisemblable beaucoup apportée aux JO, comme le concède le maire de la ville, déçu de ne pas voir arriver les caravanes de chevaux accompagnées des cavaliers.
Cette jolie tête de cheval n’est pas une pièce unique. Divers exemplaires entre 20 et 25 centimètres de hauteur se retrouvent. Il faut donc communiquer une estimation raisonnable, en fonction de l’état de la pièce. Dans tous les cas, le prix ne peut être celui qui doit être acquitté en magasin. Des chevaux fougueux en cristal ambré beaucoup plus grand et signé de Dali se vendent neufs jusqu’à 30.000 €. Un prix entre 100 et 150 € peut être ici articulé même si ce cheval n’est plus édité. Une somme nécessaire pour murmurer à l’oreille du cheval, sans oublier la tirade de Shakespeare de 1592 pour Richard III : « mon royaume pour un cheval ! »