Un tonneau royal de Meissen, c. 1735
Jeudi 09 juin 2022
par Cyrille Froissart
Meissen, vers 1735,
Boîte couverte en forme de tonneau
en porcelaine reposant sur une base carrée, la monture du couvercle en argent et un plateau ovale à bord contourné en porcelaine ; le tonneau à décor polychrome et or dans le style Kakiemon de branches fleuries et cerceaux en rouge, la prise du couvercle en forme de lion à fond brun, le plateau à décor en rouge de fer et or dit au dragon rouge d’après un modèle japonais de dragons, phœnix, rubans, rouleaux et piastres.Marqués : épées croisées en bleu.
Poinçon de décharge sur la monture en argent : Paris, 1732-1738.
Ils sont contenus dans un étui en maroquin rouge patiné, doré aux fers, fines frises sur les bords et semis de fleurs de lis sur le couvercle, l’intérieur garni de velours cramoisi et de galons à fils d’or et d’argent d’époque Louis XV.
Tonneau : Haut. 11 Long. 8,5 cm.
Plateau : Long. 21 cm Larg. 13 cm.
Étui : Haut. 14 Long. 23 cm Larg. 15 cm.
(La prise du couvercle du tonneau recollée).
Le plateau
La décoration du plateau est basée sur un original japonais et a été produit pour la première fois à Meissen, peut-être dès l’été 1729, pour le marchand Rodolphe Lemaire qui projette de faire passer les copies de porcelaine asiatique, qu’il a commandées à Meissen à Paris, comme les originaux et les vendre ainsi plus chères. Après que l’escroquerie de Lemaire a été découverte et que la porcelaine qu’il a commandée a été confisquée et envoyée au Palais japonais, il semble que la porcelaine avec cette décoration ait d’abord été autorisée à être vendue au public. Il est probable qu’Auguste le Fort n’en ait réservé le modèle qu’à l’usage exclusif de la Cour peu avant sa mort, le 1er février 1733. Au début du mois de novembre 1734, son successeur, Auguste III, choisit le motif « Dragon Rouge » pour décorer le premier service de la cour de Dresde en porcelaine de Meissen. La première livraison a suivi en 1735. (Julia Weber, Meissener Porzellane mit Dekoren nach ostasiatischen Vorbildern, 2013, vol. 2, pp. 246-254).
Le tonneau
La forme du tonneau dont le tiers supérieur forme couvercle ne semble pas être répertoriée et sa fonction demeure inconnue. Plusieurs formes de tonneau en porcelaine de Meissen servant de fontaine à café et de fontaine à alcool pour accompagner le café sont connues. L’un des plus anciens, conservé au Bayerisches Nationalmuseum de Münich, est daté vers 1728 (voir R. Rüchert, Meissener Porzellan 1710-1810, Münich, 1966, planche couleur X, n° 277). Le sculpteur Johann Joachim Kaendler réalise en 1735 une base pour ces tonneaux et revoit le modèle en 1738. A la différence de notre tonneau, il est en une seule pièce, c’est-à-dire sans couvercle, fermé au-dessus par un bouchon surmonté d’une figure enfant bacchique.
Un présent royal ?
En mars 1737, l’Electeur de Saxe et roi de Pologne Auguste III fait un présent de porcelaine de Meissen à Marie Leszczynska, Reine de France. Il s’agit sages et des armes de France et de Pologne. Le service placé dans un coffret en cuir rouge décoré en or ciselé se composait de douze bols à thé, douze soucoupes, douze gobelets à chocolat avec leur support, une jatte à rincer, une chocolatière, un pot à lait, deux théières et un support de théière, une boîte à sucre et une boîte à thé. Il fut confié à Maurice de Saxe, demi-frère d’Auguste III, pour être emporté en France. Le marchand-mercier Jean Charles Huet, agent de la manufacture de Meissen à Paris, fut payé en septembre 1737 pour son rôle dans la livraison du service Auguste II de Saxe avait déjà envoyé en 1728 au cardinal de Fleury, précepteur de Louis XV dans ses jeunes années, un extraordinaire et très important cadeau de porcelaine de Meissen, très certainement pour faciliter la future succession au trône de Pologne, auquel prétendait Stanislas Ier Leszczynski, père de la Reine de France. En 1737, le présent d’Auguste III à la fille de l’ex-roi de Pologne est sans doute également motivé par le souhait de faire un geste de bonne volonté et le désir de rétablir des relations plus sereines avec la Cour de France. À ce même moment, Auguste III écrit au cardinal de Fleury qu’il rétablit son ambassadeur en France.
La chocolatière, le pot à lait, une verseuse couverte, cinq bols à thé, trois tasses à chocolat de ce présent diplomatique de porcelaine sont récemment réapparus en vente publique et entrés dans les collections du château de Versailles. Le château de Versailles a également fait l’acquisition de la jatte à rincer du même service. La théière est conservée dans la collection Gilbert présentée au Victoria and Albert Museum de Londres. L’association d’un plateau du service au dragon rouge, d’un tonneau avec une monture en argent parisienne dans un coffret en cuir français, est très vraisemblablement le travail d’un marchand-mercier. Mais les fleurs de lis sur l’étui en maroquin désignent comme propriétaire de l’ensemble un membre de la famille royale, ce meuble n’est pas utilisé à tort et à travers au milieu du XVIIIe siècle. Il est par conséquent très envisageable qu’Auguste III ait offert à la Cour de France, avant 1738, ce tonneau et un plateau de son service au dragon rouge, réunis alors en France dans ce coffret, et jusqu’à nous aujourd’hui encore.