Les broderies royales espagnoles de la collection Fruman
Samedi 18 juin 2022
Le Magazine des enchères par Interenchères, Diane Zorzi
A l’occasion de leur vente de prestige annuelle, la maison Rouillac dévoilera le 19 juin au Château d’Artigny à Montbazon un ensemble de broderies anciennes provenant de la collection Fruman, dont un panneau brodé royal exceptionnel exécuté à la fin du XVIe siècle au sein des ateliers de broderies liturgiques du monastère San Lorenzo d’El Escorial.
A l’heure de la Contre-Réforme, le roi Philippe II d’Espagne s’entoure des plus habiles artistes pour façonner des œuvres fastueuses, propres à exalter la foi chrétienne. Le « roi prêtre » installe en 1571, dans le monastère San Lorenzo d’El Escorial, un atelier de broderies liturgiques qui réunit une centaine de brodeurs et passementiers, pour beaucoup originaires des Flandres. Là, les dessins des plus célèbres artistes de l’époque se métamorphosent en panneaux et vêtements liturgiques faits de fils de soie, d’or et d’argent. Les artisans travaillent sans relâche pour le monarque, tant et si bien qu’à l’inventaire de 1605 plus de 1 200 chasubles différentes sont répertoriées. « L’Espagne vit son « Siècle d’or », dont l’Escorial est la principale réalisation. Pesant de tout son poids dans la Contre-Réforme Tridentine, Philippe II met les richesses puisées en Amérique au service du culte catholique, dépensant sans compter pour la plus grande gloire de Dieu », détaillent Aymeric et Philippe Rouillac.
Un rare souvenir des ateliers de broderies liturgiques d’El Escorial
Avec la conquête napoléonienne, l’Escorial est vidé de ses trésors en 1809 pour servir l’ambition du nouveau roi d’Espagne, Joseph Bonaparte, frère aîné de Napoléon qui entend ériger au cœur de la capitale madrilène un musée réunissant les plus beaux témoignages de l’art ibérique – le Musée Josefino, ancêtre du Prado. Le transfert des œuvres souffre d’une documentation lacunaire et la trace de maintes broderies se perd. Hors d’Espagne, une poignée d’entre elles seulement sont référencées : deux sont installées au Trésor de la cathédrale du Puy-en-Velay suite à la donation de la collection Cougard-Fruman, deux autres sont conservées au Kunstgewerbemuseum de Berlin et au musée de Krefeld, en Allemagne, et une dernière demeure en mains privées. « C’est dire la rareté de ce Mariage de la Vierge », s’enthousiasment les commissaires-priseurs de la maison Rouillac qui dévoileront le 19 juin un ensemble de broderies provenant de la collection Josiane et Daniel Fruman, avec pour pièce maîtresse ce panneau brodé exceptionnel en or nué, exécuté au sein de l’atelier de broderies d’El Escorial autour de 1580-1586.Sur fond d’architecture baroque, le panneau donne à voir le grand prêtre, au centre, qui unit la Vierge Marie auréolée à Saint Joseph, reconnaissable à son bâton fleuri. Cette scène, tirée de La Légende dorée de Jacques de Voragine, évoque une gravure exécutée par l’artiste allemand Israhel van Meckenem (ca. 1445-1503) à partir d’un dessin perdu d’Hans Holbein le Vieux (ca. 1460-1524). Elle partage également certains détails avec une gravure d’Adriaen Collaert (1560-1618) d’après Jan van der Straet (1523-1605). La bordure, ornée de canetille, de brins de bouillon et d’un galon avec rehauts de cordonnets est typique, tant par sa technique que par ses dimensions, de celles façonnées à la fin du XVIe siècle à l’Escorial. « Un ensemble blanc, commencé en 1580 et terminé six années plus tard, est signalé comme étant brodé avec « des portraits entiers de vierges », poursuivent Aymeric et Philippe Rouillac. La spécialiste Maria Barrigón Montañés suggère que cet ensemble était en réalité décoré avec des scènes de la vie de la Vierge et utilisé pour la célébration du jour de Notre Dame. Aucun fragment de cet ornement n’étant conservé à El Escorial ou nulle part ailleurs, nous pouvons simplement avancer l’hypothèse que notre broderie soit l’une des rares reliques de cet ensemble disparu. »