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Une amitié gravée dans le métal

Samedi 23 avril 2016

Cette semaine, Laurent questionne notre commissaire-priseur Aymeric Rouillac au sujet d’une « eau-forte représentant Guillaumin au pendu » attribuée à Cézanne.

Artiste tout aussi incontournable qu’inclassable, le peintre Paul Cézanne (1839-1906) a marqué de ses couleurs vibrantes et de ses volumes vigoureux l’histoire de l’art moderne. Originaire d’Aix en Provence, il fréquente à Paris dans les années 1860 de jeunes artistes qui seront bientôt désignés comme les « Impressionnistes ». En 1862, il fait la connaissance d’Armand Guillaumin (1841-1927) à l’Académie Suisse, peu de temps après celle de Camille Pissarro (1830-1903). Son amitié avec ces deux artistes lui ouvre les yeux sur une autre manière de créer, plus délicate et plus expressive. Ensemble, ils séjournent chez le Docteur Gachet à Auvers-sur-Oise où Pissarro et Guillaumin initient alors Cézanne à une technique ancestrale : la gravure.

Durant l’année 1873, Cézanne réalise ses cinq uniques gravures sur la presse que possède le docteur Gachet. Parmi elles, le célèbre portrait de « Guillaumin au pendu » que l’on trouve fréquemment en salle des ventes ou chez les antiquaires. Cézanne esquisse un portrait très expressif de son ami, assis les bras croisés, le regard perdu vers un horizon que le spectateur ne peut qu’imaginer. Un clin d’œil inspiré des images japonaises alors en vogue s’est glissé dans le portrait : le dessin schématisé d’un pendu épinglé au mur dans la partie supérieure gauche de l’œuvre. Il renvoie à une toile en cours de l’artiste : « La Maison du pendu » (1873) que Cézanne présentera lors de la première exposition impressionniste organisée chez le photographe Nadar en 1874. Les deux amis sont ainsi présents côte à côte dans l’œuvre.

Bien qu’un examen matériel plus approfondi de l’œuvre soit nécessaire, on peut avancer qu’il s’agit d’une gravure originale. La technique choisie par Cézanne en 1873 pour immortaliser les traits de son ami est l’eau forte, également appelée « taille-douce ». Sur une plaque métallique recouverte d’un vernis, l’artiste dessine à l’aide d’une pointe de métal qui ôte dans son sillon la couche de vernis. Une fois le dessin terminé, la plaque est plongée dans une solution acide qui ronge les zones découvertes par le tracé et laisse intactes les autres. L’artiste peut alors encrer la plaque et la mettre sous presse. Au contraire du burin, autre instrument de gravure, la pointe métallique couplée à l’action de l’acide permet à l’artiste un geste plus vif, plus enlevé et plus souple. Caressez le papier en marge du dessin : vous sentirez un léger dénivelé dû à l’impression de la plaque de métal sur le papier. On appelle ce dénivelé la « cuvette », qui vous assure de l’authenticité de la technique mise en œuvre.

S’il s’agit bien d’une gravure, le prix variera en fonction de la qualité et de la date du tirage entre 100 et 300 euros… bien que l’amitié n’ait pas de prix !
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