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Autoportrait à travers la fenêtre

Samedi 27 janvier 2024

par Jean-François Millet

Jean-François Millet, Le Sommeil de l’enfant, 1855, Chrysler Museum of Art, Norfolk, Virginie
Félix Feuardent, le peintre Millet et sa famille, 1854.

Jean-François Millet (Français, 1814-1875)

Étude pour Le Sommeil de l’Enfant

Pierre noire.
Cachet de l’atelier en bas à droite (L.1460).

Haut. 19 Larg. 14 cm.
(légèrement insolé, quelques piqûres)

Provenance : collection d'un château de Touraine.

Jean-François Millet, mid-1800s. A black stone study for a painting belonging in the collections of the Chrysler Museum in Norfolk, VA entitled Baby's Slumber.

Notre dessin est préparatoire au tableau intitulé Le Sommeil de l’Enfant conservé au Chrysler Museum de Norfolk, Virginie et daté des années 1854-1856 (voir : « Jean-François Millet », catalogue d’exposition, édition des musées nationaux, Paris 1975, 17 octobre 1975-5 janvier 1976, fig.83, p.124 rep.)

Le cabinet des dessins du musée du Louvre conserve une autre version du même sujet dans laquelle l’enfant regarde par la fenêtre (RF.5671)

Autoportrait familial à la palette

Jean-François Millet à Barbizon

s'installe à Barbizon à partir de 1849 et utilise ses expériences, sa famille et ses voisins, pour peindre son quotidien et faire corps avec son sujet. C'est une période très difficile dans la vie de Millet, qui habite dans une petite chaumière avec son épouse Catherine et leurs quatre enfants. Ils en auront neuf au total. À cette époque, le peintre a du mal à vendre et doit travailler aux champs pour subvenir aux besoins de sa famille. Il réalise alors de nombreux dessins décrivant des scènes de la vie rurale, destinés aux amateurs, qu'il vend une centaine de francs. Ce dessin, réalisé à la pierre noire, est vraisemblablement une esquisse pour une toile de plus grande envergure.

Le Sommeil de l'enfant

Il est possible de le rapprocher du Sommeil de l’Enfant conservé au Chrysler Museum à Norfolk en Virginie ; les deux compositions sont en effet très similaires. Toutefois, dans la toile du Chrysler, Millet ne s'est pas représenté palette à la main comme sur ce dessin, mais occupé aux travaux de jardinage. Dans un intérieur, une femme assise reprise un vêtement et berce son enfant assoupi dans un berceau. Il s‘agit probablement d’Émilie Henriette Millet, cinquième enfant du couple, née le 4 mars 1856. Par la fenêtre ouverte, un homme semble assis face à son chevalet peint, probablement une représentation du peintre lui-même. Notre dessin occupe une place très singulière dans le corpus de Jean François Millet, puisqu’il offrirait une représentation inédite de Millet peintre. Il s’inscrit dans les recherches que mène Millet, à cette époque, autour de la représentation de la mère à l'enfant et de la couseuse.

Le témoignage de Diaz

Dans ses chroniques, publiées en 1876, le peintre américain Edouard Wheelwright se remémore sa visite dans l’atelier de Millet, à l’été 1846, en compagnie du peintre Narcisse Diaz de la Pena. : « Je n’ai vu de ma vie quoi que ce soit d’une plus gracieuse beauté : par la fenêtre ouverte, vous aperceviez, dans le jardin, le dos d'un paysan au travail. L'impression était celle d'une chaude journée d'été. Tout, dans cette scène paisible, suggérait le calme, le silence et le bien-être. Le silence qui émanait de la toile s'imposait pendant quelques minutes à ses spectateurs. Diaz s'écriait « Eh bien ! Ça c'est biblique » ». À travers la figure de la couseuse, Millet exprime l'attachement qu'il porte à sa femme. « Je n’oublierai jamais le ton d’affectueuse tendresse avec lequel il s'adressait à elle, en l’appelant « ma vieille » et en appuyant familièrement sa forte main sur son épaule » écrit Wheelwright.

Esquisse d'un tableau non réalisé

Le tableau du Sommeil de l’Enfant connut un succès important au moment de sa réalisation et passa des mains de Sensier à celles du marchand belge Arthur Stevens, avant de quitter la France pour l’Angleterre en 1865. Les Mémoires d’Etienne Moreau-Nélaton mentionnent une deuxième version du Sommeil de l’Enfant, commandée par le collectionneur Paul Tesse en 1858. Notre dessin a pu servir d’esquisse préparatoire à cette deuxième version, qui ne sera finalement pas livrée par l’artiste. Aucun autre dessin préparatoire à la toile de Norfolk n’est connu à ce jour, si ce n’est L’Etude pour le Sommeil de l’Enfant conservée au Louvre, qui reste assez éloignée de la version originale. C’est donc une feuille inédite pour comprendre l’œuvre du peintre. En choisissant de taire cette version du Sommeil de l'Enfant, Millet fait le choix de ne laisser de lui que l'image d'un « paysan paysan » plutôt que celle d'un « peintre paysan ».

Hortense Lugand
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