FR
EN

Aymeric et Philippe Rouillac : «Nous sommes des saltimbanques !»

Jeudi 23 mai 2024

Le Magazine des Enchèrs, Diane Zorzi

Depuis plus de 40 ans, les Rouillac sortent de leur sommeil des artefacts du passé, à l’occasion de leur vente Garden Party annuelle. A la veille de l’édition 2024, rencontre avec Aymeric et Philippe Rouillac, deux commissaires-priseurs père et fils qui, par leurs talents de conteurs, enchantent l’Histoire.

« Nous sommes des artistes, des funambules, des saltimbanques ! » Comprenez, avec Romain Gary, des « enchanteurs » – comme les Zaga, ces saltimbanques de Venise, les Rouillac sont passés maîtres dans l’art de l’illusion. A la différence près que leurs artifices, dignes de la commedia dell’arte, ne relèvent d’aucune chimère, et ne s’animent que pour mieux éveiller les artefacts du passé – les Rouillac enchantent l’Histoire. Chaque année, la magie opère à l’occasion de leur vente Garden Party où ils convoquent en hommes de théâtre le souvenir, la mémoire – par leurs talents de conteurs, les objets sortent de leur sommeil. A leur tableau de chasse, les découvertes rocambolesques d’un coffre de Mazarin transformé en bar, d’un Christ méditant des Frères Le Nain sommeillant dans une maison sans histoire ou d’une gourde impériale Qianlong utilisée en guise de cendrier – autant d’histoires aux autours romanesques réunies en un livre, Adjugé ! La saga des Rouillac. Une saga que ce duo de commissaires-priseurs, père et fils, nous convie à revivre le temps d’un entretien enchanté.

La maison Rouillac, c’est d’abord une formidable saga familiale, avec une passion transmise de père en fils. Pourtant, vous n’étiez ni l’un ni l’autre destinés à embrasser cette profession…

Philippe Rouillac : Pour faire ce métier, il faut avant tout être ouvert, ne pas se contenter de faire du droit et de l’histoire de l’art, connaître autant son musée local que les grandes institutions nationales et les collections étrangères… Lorsque je suis sorti du lycée, j’ai fait des études de droit à Orléans, que j’ai poursuivies à Sciences Po Paris, par curiosité avant toute chose. J’ai fait ensuite du marketing politique auprès de Michel Bongrand qui à l’époque, en 1965, avait lancé « comme une savonnette » Jean Lecanuet aux élections présidentielles ! A la surprise générale, de Gaulle avait été mis en ballotage. Michel Bongrand avait une vaste culture et toujours de nombreuses anecdotes à raconter en politique et en économie. J’ai été envoyé en Chine comme représentant de la jeunesse française, en délégation officielle. Lorsque je suis rentré, en contrepartie de ce beau cadeau que l’on m’avait fait, je devais rédiger des articles dans Le Quotidien de Paris, fondé par Philippe Tesson, et donner des conférences dans toute la France. A l’époque, un garçon de 24 ans qui rentrait de Chine, cela remplissait les salles ! J’ai ensuite été candidat aux élections législatives. Et j’ai également fait la connaissance d’André Malraux. Cette rencontre a été déterminante. Il m’a appris à regarder les objets et à les faire parler entre eux. Il a été mon maître à penser, mon maître à agir. J’ai fait de nombreuses choses avant de devenir commissaire-priseur, et je ne le regrette pas, car cela offre une ouverture d’esprit. Dans ma famille, j’ai toujours été le petit canard sauvage, mes frères étant tous ingénieurs. D’ailleurs, à l’occasion de ma première enchère millionnaire, mon père m’a dit, et cela m’a fait particulièrement plaisir : « mon fils, tu devenu un beau cygne blanc ! »

Chine, Epoque Qianlong (1736-1795). Rare gourde Baoyueping en porcelaine émaillée céladon. Adjugée 5,084 millions d’euros en 2018.

Un esprit d’indépendance qui semble également vous caractériser Aymeric Rouillac. En effet, alors que vous étiez jeune étudiant, vous n’aviez aucunement l’ambition de suivre les pas de votre père…

Aymeric Rouillac : Nous sommes quatre frères, et aucun d’entre nous n’avait l’ambition de devenir commissaire-priseur. J’ai suivi des études de droit à Paris II, mais je me suis très vite ennuyé. J’ai donc décidé de suivre ma licence et ma maîtrise par correspondance, afin de voyager. Je suis parti pendant deux ans, et je revenais à la fin de l’année universitaire pour pouvoir passer mes examens. Je me suis retrouvé avec une maîtrise en droit des affaires sans avoir mis les pieds à la fac ! J’ai ensuite suivi un master à Sciences Po Paris, où j’ai étudié le journalisme, ce qui m’a permis de parcourir l’Irak en pleine guerre, dans le cadre d’un stage à l’ambassade de France en Syrie. Après l’obtention de mon diplôme en sciences politiques, j’ai réalisé des films pour la télévision, puis j’ai été embauché par le groupe pétrolier Total, en tant que chargé de communication interne et externe. En 2007, lorsque mon père est tombé malade d’un cancer, nous sommes venus avec mon épouse nous installer auprès de mes parents. J’aidais ma mère qui continuait à faire tourner l’hôtel des ventes de Vendôme. Cela devait durer quelques mois, mais finalement je me suis réinscrit à l’université pour faire des études d’histoire de l’art, j’ai passé l’examen de commissaire-priseur, et je me suis épanoui dans ce métier.

Camille Claudel (Fère-en-Tardenois, 1864 – Montdevergues, 1943), La Valse, 1889-1905. Épreuve en bronze à patine brun-noir. Fonte au sable réalisée du vivant de l’artiste, vers 1900. Signé (sur la terrasse) : « Camille Claudel ». Haut. 46,7 Larg. 25,5 Prof. 16,8 cm. Adjugée 1,463 million d’euros en 2017.

C’est en 1983 qu’a débuté l’aventure de la maison Rouillac, avec l’ouverture de l’Hôtel des ventes de Vendôme. Quel a été Philippe Rouillac le premier objet à s’être frotté à votre coup de marteau ?

Philippe Rouillac : C’était un moulin à café, adjugé 20 francs !

Pourquoi avez-vous choisi de vous installer à Vendôme ?

Philippe Rouillac : Pour deux raisons. C’est un nom grave et sonore, avec un accent circonflexe, qui évoque l’Histoire, autant que le luxe et le prestige… Lorsque vous dites que vous êtes commissaire-priseur à Vendôme, tout le monde imagine que vous êtes installé entre le Ritz, le ministère de la Justice et Louis Vuitton. La seconde raison est la proximité avec Paris. Nous avons su très vite qu’un TGV allait relier Paris à Vendôme en seulement 40 minutes. Et puis la charge était libre. Nous avons ainsi repris, avec mon épouse Christine, la dernière étude de la région Centre qui est devenue, au fil des ans, la seule étude familiale de France à avoir quinze enchères millionnaires. Les enchères millionnaires sont au marché de l’art ce que les macarons Michelin sont à la gastronomie ! Nous avons d’ailleurs reçu des offres de rachat émanant de grandes maisons comme Christie’s et Sotheby’s, mais nous avons toujours refusé d’aller à Paris. Dans une petite ville de 15 000 habitants, dans un « bungalow », nous avons su dribbler, jouer avec des succès comme des échecs, en continuant toujours à raconter des histoires extraordinaires.

Claude Monet (Paris, 1840 -Giverny, 1926). Étretat, la falaise d’Aval au coucher de soleil, 1883. Huile sur toile. Hauteur: 60 cm ; Largeur: 81 cm. Adjugée 2,134 millions d’euros en 1999.

Des histoires qui animent chaque année une vente d’exception. En 1989, vous vous êtes en effet lancé un défi osé : organiser une Garden Party à la française dans un écrin prestigieux, le Château de Cheverny. Comment est née cette idée audacieuse ?

Philippe Rouillac : Je suis convaincu que les beaux objets doivent être présentés dans de beaux écrins. Sur les conseils de la marquise de Brantes, nous avons ainsi organisé une première vente au Château de Cheverny, avec l’accueil généreux de ses propriétaires. Lorsque la marquise de Brantes m’a présenté Arnaud de Sigalas, j’ai compris que le défi était important, qu’il ne fallait pas entacher ce nom de Cheverny. Le soir de la première vente, il a sorti son calepin et m’a dit « Monsieur, je suis très content. Prenons rendez-vous l’année prochaine.» Ça s’est fait ainsi, dans la durée et la fidélité. La première année, l’objet le plus médiatique était la réunion de deux tronçons du célèbre escalier hélicoïdal reliant le deuxième et le troisième étage de la Tour Eiffel. Et chaque année, nous avons eu de la chance de présenter un objet qui défrayait la chronique et qui suscitait de l’intérêt.

Frères Le Nain, Jésus enfant en adoration de la Croix. Toile d’origine. Haut. 0,72 Larg. 0,59 cm. Adjugée 3,596 millions d’euros en 2018.

Quel souvenir, Aymeric Rouillac, conservez-vous de la première vente au Château de Cheverny ? Vous étiez encore enfant à cette époque…

Aymeric Rouillac : Nous n’avions pas eu le droit, mes frères et moi, d’assister à la première vente en 1989. Nous étions très frustrés et avions le sentiment que nos parents partaient s’amuser ! Nous étions d’autant plus frustrés que nous venions régulièrement participer aux ventes le dimanche, pour profiter de l’ambiance et être auprès de nos parents. Aussi, la première fois que nous avons pu assister à une vente au Château de Cheverny, ça a été une fête extraordinaire. En arrivant le matin les salles sont nues, à 14h tout est en place et deux jours plus tard, le week-end terminé, ce décor éphémère disparaît, c’est incroyable ! Nous y avons vécu des aventures folles. Nous avons rencontré des gens passionnants. Enfants, nous observions tous ces collectionneurs, marchands, personnalités de l’aristocratie et de la gentry, et nous étions aussi fascinés par la cuisine. Mes parents sollicitaient un chef qui s’installait à demeure le temps d’un week-end et cuisinait pour tout le monde, avec des dîners incroyables en plein-air, face au Château de Cheverny. On voyait défiler les biches et les montgolfières devant nous ! Et l’apothéose, c’est lorsque nous avons pu reconnaître Mick Jagger… C’était un univers magique pour des enfants. Pendant longtemps, mes frères et moi n’avons pu manquer une seule vente Garden Party. Cela nous procurait un plaisir fou, ainsi qu’à nos parents qui se réjouissaient d’être entourés de leurs enfants.

Charles Willson Peale (Saint Paulo Parish 1741 – Philadelphie 1827), Portrait de George Washington, 1782. Toile, 102 x 124 cm. Adjugée 4,4 millions d’euros en 2002.

L’événement, organisé au Château de Cherveny et depuis 2014 au Château d’Artigny à Montbazon, est devenu au fil des ans l’une des ventes annuelles les plus prestigieuses dans le monde. Comment êtes-vous parvenu Philippe Rouillac à vous renouveler chaque année et à maintenir un même niveau d’exigence ?

Philippe Rouillac : Je ne sais pas, j’y réfléchirai lorsque je serai vieux ! Il faut être dans le mouvement. Il y a eu de bonnes et de mauvaises années, comme pour les crus de Bordeaux ! Je crois qu’il ne faut pas se poser de question. Le soleil brille tous les jours, et après la pluie il y a des arcs-en-ciel fantastiques. Si nous parvenons à présenter chaque année des objets exceptionnels, c’est parce qu’ils sont là et qu’ils ont besoin d’être reconnus, aimés, analysés et transmis. Nous avons vendu de nombreux objets auxquels nos confrères n’ont pas cru. Le fameux coffre de Mazarin que nous avons vendu 7,3 millions d’euros en 2013 et qui est aujourd’hui au Rijksmuseum d’Amsterdam est passé entre les mains de quatre commissaires-priseurs avant de nous être confié, et un expert en art extrême-oriental n’y croyait pas et estimait qu’il s’agissait d’un coffre Napoléon III. C’est grâce aux souvenirs que j’avais d’un coffre semblable conservé au Victoria and Albert Museum et des travaux de recherches menés par Aymeric que nous avons pu retracer son parcours, et faire de ce papier mâché Napoléon III une pièce exceptionnelle reconnue de tous. En 40 ans, je ne me suis jamais dit, en observant les découvertes de mes confrères, que j’étais passé à côté. J’ai un œil de lynx et le jour où je constaterai que je suis passé à côté d’une découverte, je me dirai que je n’ai plus la main, et je rendrai mon tablier. Nous sommes autre chose que des commissaires-priseurs. Nous sommes plutôt des artistes, des funambules, des saltimbanques ! Et c’est pour cela que l’on vient nous chercher et que nous sommes parvenus à nouer une relation de confiance avec les vendeurs. Comme il existe un goût Rothschild, il y a une patte Rouillac !

Coffre en laque or de Mazarin, Japon, c. 1640. Adjugé 7,31 millions d’euros en 2013.

« Nous sommes autre chose que des commissaires-priseurs. Nous sommes plutôt des artistes, des funambules, des saltimbanques ! Et c’est pour cela que l’on vient nous chercher et que nous sommes parvenus à nouer une relation de confiance avec les vendeurs. Comme il existe un goût Rothschild, il y a une patte Rouillac ! »

Une « patte Rouillac » à laquelle vous contribuez Aymeric Rouillac depuis 2010. Votre arrivée a-t-elle été synonyme de renouveau ?

Aymeric Rouillac : J’ai beaucoup réfléchi durant les premières années aux côtés de mon père et de ma mère. Ils ont eu une manière de travailler très complémentaire, l’un dans l’ombre, et l’autre dans la lumière, et c’est une réussite de couple. En les rejoignant, j’ai réfléchi à la manière la plus juste, permettant de garder l’ADN de la maison, en apportant un plus, un mieux. Lorsque vous arrivez, à l’âge de 30 ans, vous avez la volonté de développer. Le plus complexe a donc été d’accepter que « small is beautiful ». Nous n’avons pas l’ambition d’être les premiers, nous cherchons à être les meilleurs. J’ai pour ma part ajouté une nouvelle maxime : « less is more ». Nous avons en effet décidé de réduire de 30% le nombre de ventes et de lots, en refusant davantage d’objets, tout en restant accessibles avec des journées d’expertise gratuite que j’organise tous les mercredis à mon bureau et qui attirent des gens de toute la France.

Rembrandt Bugatti (Milan, 1884 – Paris, 1916), Deux panthères marchant, tirage 1, 1905. Sculpture en bronze à patine polychrome : bruns nuancés noir et vert. Signée sur la terrasse « RBUGATTI » et datée « 905 ». Fonte à la cire perdue avec le cachet du fondeur « CIRE PERDUE A.A HÉBRARD », et le numéro de tirage manuscrit « 1 » à côté du cachet. Haut. 23, Long. totale : 101,5, Larg. 25,5 cm. Adjugée 1,364 million d’euros en 2019.

Cette sélection rigoureuse vous permet de mener des recherches approfondies sur chaque objet et les catalogues très fournis que vous publiez chaque année à l’approche de votre vente Garden Party annuelle en témoignent. Ils ont dans la bibliothèque des amateurs leur place aux côtés d’ouvrages d’histoire de l’art de référence… Il s’agit en somme de vendre moins, pour vendre mieux ?

Aymeric Rouillac : Oui, nous présentons chaque année autour de 3 000 objets, quand nos confrères, qui travaillent dans des structures d’une taille semblable, vendent 30 000 à 40 000 objets. Nous essayons de vendre mieux. Cela peut représenter une crainte supplémentaire d’un point de vue comptable, car il nous faut trouver les bons objets. Nous prenons des risques et la chose que l’on investit le plus c’est notre temps. Mais en refusant de nombreux objets, nous gagnons également en efficacité. Nos catalogues ont ainsi au fil des années gagné en épaisseur, avec des textes plus fournis, et nous nous efforçons de proposer à chaque fois un texte de référence sur le sujet qui nous est confié. Ce travail porte ses fruits. L’an dernier, c’est grâce au texte que nous avons rédigé et aux recherches que nous avons menées que nous sommes parvenus à pulvériser les précédents records pour un tableau de l’artiste japonais Kazuo Shiraga. La toile avait été envoyée à plusieurs confrères avant nous, mais nous avons été les seuls à comprendre son importance historique. Nous l’avons finalement vendue à plus d’1,8 million d’euros. Des clients viennent de loin pour nous confier leurs objets. Lors de notre prochaine vente Garden Party, qui se tiendra le 26 mai au Château d’Artigny, nous présenterons un coffre en laque du Japon de 1640, contemporain de celui du cardinal Mazarin du Rijksmuseum d’Amsterdam. Le client nous l’a apporté des Pays-Bas car il sait que nous allons le valoriser au mieux.

Kazuo Shiraga (Japonais, 1924-2008), T. 34, 1962. Toile, signée et datée en bas à gauche. Adjugée 1,5 million d’euros en 2023.

A ce travail patient de recherches, menées dans l’ombre, se mêle également un sens aiguisé de la communication

Philippe Rouillac : La communication, la relation de confiance nouée avec les vendeurs, sont primordiales. Avec Internet, les réseaux, de même que la presse, l’on peut toucher le ciel, effleurer les nuages ! Nous avons une conception traditionnelle du métier, et dans le même temps très novatrice. Nous avons été les premiers à organiser des expertises gratuites. Nos confrères y étaient d’ailleurs opposés et considéraient que ce service devait rester payant. Depuis, tout le monde s’y est mis ! Nous avons également été les premiers à organiser régulièrement des conférences, et avons publié un livre, Adjugé ! La saga des Rouillac, dans lequel nous racontons les coulisses de nos ventes et qui est un formidable ambassadeur pour notre maison.

Vous avez également été les premiers en France à vous doter d’une présence en ligne…

Aymeric Rouillac : Oui, nous avons un site internet depuis 1996, que nous avons doté d’une technologie Live, et nous avons également été parmi les premiers commissaires-priseurs à annoncer nos ventes sur Interencheres. Mes parents ont compris très rapidement qu’internet allait bouleverser notre façon de travailler. Sans le numérique, il n’y aurait sans doute plus personne en salle de vente !

Kees Van Dongen (Delfshaven, 1877 – Monaco, 1968), Portrait de Madeleine Grey à la rose. Huile sur toile signée ‘Van Dongen’ en bas à gauche, datée sur le châssis : ‘1929’. Inscrite sur le châssis et au dos de la toile ‘Alexandrie’. 55 x 47 cm. Adjugée 1,17 million d’euros en 2012.

Si vous ne deviez retenir qu’une seule œuvre, parmi les nombreuses pièces d’exception qui vous ont été confiées

Philippe Rouillac : Mon marteau, surtout lorsqu’il a été façonné par Goudji, l’orfèvre des rois et le roi des orfèvres ! Lorsque je prends en main ce marteau d’ivoire, d’argent, de bois de rose et de lapis-lazuli créé par ce « magicien de l’or », c’est une sensation magique ! En réalité, il m’est impossible de choisir un objet plus qu’un autre, ma préférence va à l’objet que l’on nous apportera demain !

Aymeric Rouillac : Ma loupe ! Nous sommes des commissaires-priseurs. Le priseur donne un prix avec son marteau et le commissaire enquête. Ces deux objets sont tous deux posés sur mon bureau, et c’est avec ma loupe que je peux ouvrir grand les yeux, chercher, regarder et contempler, pour jubiler parfois ou être déçu. Nous avons un métier formidable pour celui qui veut bien voir.

Lavinia Fontana (Italienne, 1552-1614), Portrait d’Antonietta Gonsalvus. Toile. Haut. 54,5 Larg. 47 cm. Adjugée 1,25 million d’euros en 2023.

De la Garden Party annuelle à la publication d’un livre… La maison Rouillac ne cesse d’innover ! Comment envisagez-vous l’avenir ?

Philippe Rouillac : La devise de la Reine d’Angleterre, qui a eu un très long règne, était « je maintiendrai » ! « No pain, no gain ». Je suis parti de zéro. Il est facile de monter les escaliers. Vous vous dites que vous allez avoir le vertige, et après vous vous demandez comment le descendre… Il y a tellement d’objets à découvrir dans le Val de Loire qui est une région d’art de vivre extraordinaire. Nous avons d’ailleurs beaucoup de chance de vivre en France, terre de culture – « France, mère des arts, des armes et des lois », pour reprendre les mots de Joachim du Bellay. Lorsque le soleil se lève sur la Loire, les choses prennent immédiatement une autre dimension.

Aymeric Rouillac : Nous répondons chaque année à environ 5 000 demandes d’expertise. Or, depuis que je suis arrivé en 2010, nous avons obtenu dix enchères millionnaires. Sur ces dix enchères, sept constituaient de véritables découvertes pour leurs propriétaires. Et, comme l’évoquait Philippe tout à l’heure, de nombreuses découvertes ont échappé à nos confrères – le coffre de Mazarin et la toile de Kazuo Shiraga, mais également le tableau des Frères Le Nain qui pour certains experts ne valait rien car il s’agissait d’une œuvre religieuse… Sept personnes sur soixante-dix mille étaient millionnaires sans le savoir, et ils avaient une chance sur dix mille de devenir millionnaires en venant nous voir. C’est mieux que de gagner à Euromillions !

Philippe Rouillac : Il faut être un poète et non un financier, afin d’avoir la liberté d’accepter ou refuser un objet, sans contrainte financière. L’organisation d’une vente annuelle au Château d’Artigny a un coût, mais nous n’avons aucun compte à rendre, c’est notre maison. Il ne faut pas être des canards boiteux, mais des cygnes ou, mieux encore, des condors, ces aigles mythiques d’Amérique Latine qui frôlent les dieux et touchent l’inaccessible !

Image de Une : Philippe et Aymeric Rouillac sur le scooter de François Hollande en vente le 26 mai 2024 au Château d’Artigny.
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :