FR
EN

Quoiqu'il en scoot !

Jeudi 30 mai 2024

Le Monde, Michel Dalloni

L’engin à trois roues, qui véhiculait l’ex-président quand il allait retrouver sa maîtresse, a été vendu aux enchères le 26 mai. Devenu une incongrue relique républicaine, il va rejoindre un musée automobile.

Il était entré dans l’histoire en sortant du garage et s’apprête à faire marche arrière. Un dispositif dont il n’est pourtant pas équipé. Mais le scooter Piaggio MP3 125 cm3, immatriculé AL-807-SX, méprise les conventions. Déjà, il a trois roues. Ensuite, il a servi au transport amoureux clandestin de François Hollande, alors président de la République et compagnon de Valérie Trierweiler mais épris de Julie Gayet. Par ailleurs, il a été vendu aux enchères, dimanche 26 mai, à Montbazon (Indre-et-Loire), pour la somme de 25 420 euros, alors que son millésime (2009) et son kilométrage (34 000 kilomètres) lui valaient, selon l’algorithme de La Centrale, une cote occasion de 1 338 euros. De surcroît, il a été adjugé lors d’une vacation organisée le jour de la Fête des mères, alors qu’on avait, en principe, autre chose à faire. Enfin, il quitte la une des magazines de la presse people internationale pour goûter aux joies simples de la retraite anticipée dans un musée de l’automobile du Maine-et-Loire.

Son dernier baroud a eu lieu dans les jardins du Château d’Artigny, un hôtel cinq étoiles, où la maison Rouillac, commissaires-priseurs de père (Philippe) en fils (Aymeric) depuis 1983, mettait la pétrolette adultérine à l’encan. Elle posait, bardée de cocardes tricolores, façon quartier de charolaise, puisqu’il s’agissait d’un morceau de choix. A sa droite, un étendard républicain, flanqué d’un simili garde du corps en costume bleu marine. A sa gauche, pareil. A l’arrière-plan, la silhouette d’une réplique en aluminium de la tour Eiffel (travail contemporain, 5 mètres de haut, lot n° 375 du catalogue de la vente) se détachait sur la façade XVIIIe siècle de ce palais construit au début du XXe. A ses pieds, une collection d’amateurs, de curieux, de notables et d’envoyés spéciaux (dont celui du Monde). Disons, une centaine de personnes. Tout autour, de grands arbres et les SUV aux vitres fumées des clients de l’établissement, garés en épi.

Avant que le marteau ne s’abatte – et même après qu’il s’est abattu –, le propriétaire de l’engin, Patrick Sionneau, 71 ans, ci-devant négociant en matériel agricole, installé à Villeromain (Loir-et-Cher), a retracé son odyssée : réforme par l’Elysée, vente par le Domaine, achat par un garagiste poitevin, puis par deux particuliers dont un ami qui accepte de le lui céder, en 2021. « Son histoire m’a amusé, a-t-il répété, et je me suis dit que ce serait drôle de fêter mes noces d’or avec mon épouse, Manola, en retournant sur les lieux de notre mariage à son guidon. » Ce qui fut fait le 8 octobre 2022, à Vendôme (Loir-et-Cher). Cinquante ans de vie commune, 10 kilomètres de route, onze minutes de trajet. Mission accomplie. Et maintenant, que faire ? « Depuis un accident médical, je ne peux plus m’en servir, a révélé Patrick Sionneau. J’ai eu peur qu’on me le vole. J’ai préféré m’en séparer. » Mais pas à n’importe quelle condition : mise à prix 10 000 euros.

« Transformation du banal »

A 14 h 15, à l’issue d’une bagarre de dix minutes opposant quatre acheteurs par téléphone ou en ligne et après dix-sept enchères croisées, la monture présidentielle changeait une nouvelle fois de pilote. Applaudissements. « Il y avait Vizir, le cheval de Napoléon, et la DS 21 1-PR-75 du général de Gaulle, il y aura le scooter de François Hollande ! », s’exclamait Me Philippe Rouillac. Sourires. Patrick Sionneau et madame, main dans la main, rayonnaient. Vavavoum ! « De quoi s’agit-il, essentiellement ? », se demandait André Malraux, ministre des affaires culturelles, en inaugurant la Maison de la culture d’Amiens, le 19 mars 1966. « D’un changement absolument total de civilisation », répondait, dans la foulée, le grand homme torturé. Et ici, à Montbazon, à quoi avons-nous assisté, essentiellement ? Aux premiers plans d’un film de Claude Chabrol ? A une saynète signée Jean-Pierre Mocky ? Aux prémices d’une satire pasolinienne ?

« Cela évoquerait plutôt un ready-made de Marcel Duchamp, avance le sémiologue François Jost, qui a signé Le Culte du banal. De Duchamp à la télé-réalité (CNRS Editions, 2007). Je prends un urinoir, je le renverse, je l’appelle “fontaine” et je le présente comme une œuvre d’art. C’est une transfiguration du banal. Même chose pour ce scooter : sa valeur d’usage est quelconque mais le récit qu’il porte et les mises en scène imaginées par ses propriétaires successifs en font un objet sacré. » Une dame, qui observait tout ce manège du haut du perron castral, à l’abri de ses lunettes noires, confirmait : « Le sujet, c’est l’amour. Un président qui s’échappe de chez lui, au petit matin, en motocyclette, comme un gamin sauterait de la fenêtre pour rejoindre sa copine, je trouve ça presque touchant. C’est un homme… Evidemment, il y a cette histoire de tromperie, c’est vrai. Ce n’est jamais drôle d’être cocue. »

Plus bas, quatre jeunes Tourangeaux, trois filles et un gars, pariaient, pour de rire, sur le résultat final : 37 500 euros pour l’une, 100 000 euros pour une autre, sourire interrogatif pour la troisième, le prix de l’estimation pour le jouvenceau. Raté. Dans les allées gravillonnées, deux messieurs bien plus âgés maugréaient, déplorant et le temps qui se couvrait et l’abaissement de l’Etat, sur le mode : « Ah, il nous aura vraiment tout fait, Flamby ! » Allusion à un des surnoms peu flatteurs de François Hollande. Un documentariste, venu traîner là son bob kaki en coton huilé et un ami à lui, tentait une synthèse : « Tout ça est très curieux. » Si le faux est un moment du vrai, l’anecdotique est sans doute un moment de l’essentiel. Analyse de François Jost : « Cette affaire de scooter est aussi surestimée que le sont les vedettes de la télé-réalité, mais elle est devenue un élément de la culture pop. »

Le lendemain, le commissaire-priseur lui-même s’amusait, au téléphone, qu’on souhaite revenir sur « la plus belle non-information du week-end », mais se félicitait de ce puissant flash médiatique sur sa 36e vente « garden party ». Quant à l’acheteur, Denis Breheret, 51 ans, rencontré sur le site de son musée Prestige & Collection, sis à Jallais (Maine-et-Loire), il recontextualisait l’affaire : « L’actualité est tellement dramatique en ce moment. Ça au moins, ça distrait les gens. Il n’y a aucun enjeu. » Et puis voilà du bon buzz pour un projet dont le démarrage, en 2021, a pâti des confinements. Le tricycle le plus célèbre de France trônera au milieu d’une collection de 120 véhicules rares ou populaires, alignés dans une ancienne halle à canards de 1 000 m2 (car, autrefois, le maître des lieux faisait dans la volaille). Vu son pedigree, il est probable qu’on le stationne à proximité de la Lagonda cabriolet 3L 1955 dont Lady Gaga et Nicole Kidman ont déjà profité.

Question retour sur investissement (ROI), zéro souci. « Je me suis inscrit à la vente in extremis. J’ai acheté sur photo. Je n’étais pas inquiet même si les enchères sont montées haut et que j’étais à la limite de mon budget. Je sais qu’il va y avoir quelques demandes de selfies. Le téléphone sonne déjà ! », a confié Denis Breheret. En revanche, interdiction formelle de rouler avec, alors que, moyennant contribution, il est possible d’emprunter la plupart des bolides exposés (tarifs sur le site Prestigeetcollection). « Pour le coup, il n’y a que des gagnants, décortique François Jost. Le vendeur, le commissaire-priseur, l’acheteur, le fabricant, la presse et François Hollande, qui, après le scandale et le ridicule, a gagné en sympathie en démontrant qu’on pouvait ne pas sacrifier sa vie privée aux responsabilités, en incarnant, au-delà de ses déclarations, une présidence normale. » En résumé : merci pour ce moment (warholien).

Au fait, qu’en pense Valérie Trierweiler ? Pas que du bien. « Moi, si j’étais Julie Gayet, je l’achèterais, comme ça je serais tranquille », avait-elle moqué sur RTL, le 9 avril, lors des « Grosses Têtes », dont elle est une des sociétaires. Et lorsque l’animateur de l’émission de RTL, Laurent Ruquier, a proposé que le plateau se cotise pour acheter ledit scooter, elle a répliqué, offusquée : « Pas moi ! Alors ça, sûrement pas. Ne me demandez pas d’argent. » On la comprend.

Rapports de pouvoir et orgueil masculin

Il convient de s’interroger sur la place des femmes dans ce récit légendaire. Une Julie en Juliette et un mâle alpha en Roméo. Une compagne bafouée qu’on éconduit par communiqué. Une épouse qui a signé le chèque du trois-roues qu’on lui offre en cadeau de noces d’or. Le rappel de la liste des maîtresses qui ont garni les lits royaux des châteaux de la Loire, en ultime argument commercial. Certes, nous vivons une époque charnière en matière de parité mais reconnaissons que ça grince encore pas mal.

Inutile de se le cacher : les rapports de pouvoir sont le véritable moteur de ce véhicule singulier et anodin, et l’orgueil masculin son principal carburant. Il tient le premier rôle d’un scénario qui doit autant à Feydeau qu’à Shakespeare.

Sinon, la tour Eiffel en aluminium a été adjugée 1 200 euros (hors frais) et une ceinture de chasteté « en fer recouvert d’un velours cramoisi sur la partie externe et d’un tissu crème sur la partie interne (tour de taille 72 cm) », provenant de la collection du docteur Edgar Bérillon (1858-1948), est partie à 500 euros. Mais où serait le rapport, je vous le demande ? Quant à la réplique du trône de Sa Majesté l’empereur de Centrafrique Bokassa Ier, en acajou sculpté et doré à la feuille, qui semble inspirée par les aventures sud-américaines de Spirou et Fantasio, mais due en réalité à la main habile de Rémi Le Forestier, spécialiste français de ce genre de sièges, mise à prix 10 000 euros, elle n’a pas suscité la moindre enchère. Parce qu’il y a tout de même des limites.
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :