Expert près la cour d'Appel : Aymeric Rouillac s'inscrit dans les pas de son père
Vendredi 07 mars 2025
La Renaissance du Loir et Cher, Laurence Richer

Pour le second épisode de notre série sur les experts de justice, nous avons rencontré le commissaire-priseur Aymeric Rouillac qui a prêté serment en 2021. Depuis il intervient sur requête du tribunal et des forces de l'ordre.
Chez les Rouillac, on est commissaire-priseur de père en fils. C'est à la salle des ventes de Vendôme que nous avons rencontré Aymeric Rouillac, au milieu des objets d'arts et des tableaux rassemblés pour les pro- chaines ventes aux enchères.En préambule, il tient à nous prévenir: « Attention, n'importe qui peut se proclamer expert en tout ! En France, le titre n'est pas protégé. »
« Experts auprès des tribunaux, c'est le seul titre protégé », insiste le commissaire-priseur en affichant sur l'écran de son ordinateur la liste officielle des experts de justice publiée par la Cour d'appel d'Orléans. Une liste « mise à jour chaque année. On nous demande de faire état des différentes missions qu'on a menées dans l'année et des formations que l'on a suivies. Certains rentrent, d'autres sortent». Frappés par la limite d'âge par exemple comme l'a été Philippe Rouillac, son père, qui reste expert honoraire. « Mais on peut toujours faire appel à lui; son expérience est précieuse. »
Une enquête strictement technique
Aymeric Rouillac ne cache pas sa fierté en précisant qu'il s'inscrit dans les pas de son père. « C'était le plus jeune expert près la Cour d'appel d'Orléans quand il a été nommé, au siècle dernier, pour la catégorie Mobilier des objets d'art et il est resté le seul. » Il a ainsi œuvré pendant 40 ans avant de passer la main à son fils qui a prêté serment en 2021. Le commissaire-priseur apporte son expertise dans des affaires concernant des objets d'art, des armes, des bijoux, des instruments de musique, du mobilier... « Et même si je ne suis pas spécialiste en armes par exemple, le tribunal va apprécier le fait que je sais à qui je vais m'adresser si besoin. » Il explique que les autorités judiciaires font appel à « des sachants qui vont mener une enquête strictement technique sans jamais se prononcer sur le fond. On ne nous demande pas de dire qui a tort ou raison; juste d'éclairer l'autorité judiciaire sur une situation précise. » Et au final, contrairement à d'autres experts exerçant dans d'autres domaines, « on nous confie assez peu de missions ».Éclairer le juge
L'expert de justice peut être amené à éclairer le juge dans le cadre d'une procédure judiciaire. Dans ce cas il reçoit une ordonnance du juge qui expose le litige, par mail le plus souvent. « J'ai une mission très précise; je ne dois pas aller au-delà.» Avant d'accepter la mission, « on demande aux parties de consigner les dépens; c'est-à-dire les honoraires » correspondant aux frais à engager et à la rémunération du temps passé. « Le fait que les gens aient à payer pour cette expertise, ça permet aux tribunaux d'être moins engorgés en calmant les ardeurs de ceux qui sont un peu procéduriers. »Une fois la mission acceptée et les honoraires consignés, Aymeric Rouillac explique qu'il commence par « convoquer les parties. Le principe du contradictoire est extrêmement important. »> Ensuite, après avoir écouté et expertisé l'objet, « on rend un rapport et chacune des parties émet des dires et des contre dires. Une fois qu'on a épuisé les dires des uns et des autres on rend un rapport définitif au tribunal. »
Un avis motivé et circonstancié
L'expert de justice peut aussi être sollicité par les services de police ou de gendarmerie. « J'ai été sollicité par ceux de Chartres pour savoir si des objets qui avaient été saisis dans une affaire liée au trafic de stupéfiants étaient des originaux ou des copies. C'étaient des montres et des vêtements de luxe qui en réalité étaient des contrefaçons.» Dans une autre affaire, le commissaire-priseur a accompagné les policiers « un matin à l'aube lors d'une perquisition chez une personne poursuivie pour une escroquerie à assez grande échelle pour voir s'il y avait des objets de valeur chez elle». Une autre fois, il s'agissait d'expertiser une collection de tableaux modernes pour confirmer, ou non, leur authenticité.Dans tous les cas, l'expert de justice doit rendre un avis motivé et circonstancié. « Et quand on ne sait pas, on peut faire appel à des sachants particulièrement compétents dans un domaine précis. Dans le cas de la collection de
tableaux modernes par exemple, il y avait des certificats d'authenticité. J'ai contacté ceux qui les avaient rédigés pour être sûr que ce ne soit pas des faux.»
Bien au-delà de l'enjeu civil
Lorsqu'il rédige son rapport, Aymeric Rouillac garde à l'esprit que l'enjeu dépasse celui d'une transaction ou d'une expertise puisqu'il y a une affaire judiciaire. La responsabilité est différente. « Je sais qu'au-delà de l'enjeu civil, potentiellement, il peut y avoir un enjeu correctionnel pour les personnes impliquées par mon expertise. >>L'expert de justice peut être appelé bien au-delà de la juridiction. Aymeric Rouillac est récemment intervenu à Chateauroux pour un dossier concernant la restauration d'un fauteuil mécanique qui s'est mal passée. Il peut aussi intervenir dans des procédures longues à l'image de celle qui dure depuis plus de 30 ans ! Le dossier était tellement épais qu'on n'a pas pu me l'envoyer par la poste; j'ai dû aller le chercher. Dans ce genre de dossier, il explique qu'il « faut prendre le temps, tout lire... comprendre. Convoquer les parties; depuis 30 ans vous vous doutez que certains sont décédés. » Le commissaire-priseur a également lu les rapports de ses prédécesseurs; en 30 ans il n'était pas le premier expert nommé dans cette affaire de « succession compliquée »>.
5.000 objets par an
Lorsqu'il endosse le costume d'expert de justice, Aymeric Rouillac doit oublier certaines des valeurs de son métier. « On a un avis personnel mais on doit le garder pour nous, contrairement à mon métier de commissaire-priseur où je m'engage et où je mets beaucoup d'affect. » Les Rouillac furent d'ailleurs les premiers à proposer des expertises gratuites, entraînant à l'époque la colère de leurs confrères. À Tours le mercredi, le [mardi] à Vendôme et à travers toute la région où ils organisent des expertises gratuites, Philippe et Aymeric Rouillac examinent en moyenne 5.000 objets par an. « C'est un défilé non-stop ! Je passe plus de temps à sortir ma loupe que mon marteau »>, reconnaît-il.Pour justifier son engagement en tant qu'expert, Aymeric Rouillac évoque « une reconnaissance de nos qualités professionnelles ». Il ajoute que sur le plan humain, « on reçoit beaucoup et il faut savoir redonner à la collectivité ».