UN COFFRE DE MAZARIN, PLUS HAUTE ET PLUS ETONNANTE ENCHERE 2013
Lundi 30 décembre 2013
Le Figaro, par Valérie Sasportas.
Acheté par le Rijksmuseum d'Amsterdam, le meuble est retourné aux Pays-Bas pour y être exposé. Il y avait été vendu aux enchères il y a 355 ans.
Le grand coffre de Mazarin a été vendu 7,31 millions d'euros le 9 juin chez Rouillac, au château de Cheverny.
C'est la médaille d'or 2013, la plus belle enchère française de l'année, la plus haute et la plus étonnante. Elle n'est pas due à l'un des trois ténors du marché, tous voisins dans le triangle d'or de Paris - Christie's, Sotheby's et Artcurial -, mais à une étude de province - Rouillac. « Nous remportons cette médaille pour la troisième fois depuis l'ouverture du marché de l'art, en 2001. C'est le combat de David contre Goliath », s'enorgueillissent d'ailleurs les commissaires-priseurs Aymeric et Philippe Rouillac, à l'origine de la belle affaire. Le grand coffre du cardinal Mazarin, en laque à la neige d'or datant du XVIIe siècle, fut vendu le 9 juin pour 7,31 millions d'euros au château de Cheverny, en Touraine. Or, les commissaires-priseurs ne l'avaient estimé que 200.000 euros. Une peccadille presque incompréhensible pour les amateurs d'art.
Mais cette somme dépassait déjà presque l'entendement pour les propriétaires d'alors, un frère et une sœur habitant la campagne, dans le Val de Loire. «Comment expliquer au couple qui nous avait contactés pour vendre leur maison que ce coffre, qu'ils appelaient ‘‘le coffre à papa'' et dont ils avaient fait leur bar à vin, valait bien plus que leur toit?» s'était interrogé Philippe Rouillac en avril dernier, alors qu'il donnait la primeur de la découverte au Figaro .
Père et fils pétillaient comme du champagne en racontant l'histoire de ce coffre monumental, réalisé au Japon au début de l'ère Edo entre 1630 et 1640. Son décor, en laque incrusté d'or et de lamelles d'argent sur près de 9 m2 « est une rareté », s'enthousiasmaient-ils.
« Son couvercle raconte l'équivalent de notre Chanson de Roland : le poème épique d'un jeune archer cherchant à comprendre pourquoi son père ne l'a pas choisi pour lui succéder sur le trône, et qui, dans sa quête, accède à la sagesse », expliquait Philippe Rouillac en observant le meuble entreposé chez un maître des laques, aux ateliers Brugier, rue de Sèvre, à Paris. Le coffre avait bien besoin d'être nettoyé.
Le «coffre à papa», qui avait aussi servi à ses propriétaires de « coffre à jouets », et de «cachette à enfants», avait non seulement été troué de tasseaux de bois pour entreposer les bouteilles, mais il avait été tâché de coulées de liqueurs, qui avaient encrassé la laque et fait disparaître les dessins à la poudre d'or. Malgré ce « camouflage », Philippe Rouillac l'avait reconnu: il s'agissait là du coffre dit de Mazarin, qu'il avait vu des années en arrière au Victoria and Albert Museum, à Londres.
Sur la piste de Mazarin, Aymeric Rouillac allait éplucher son inventaire, à Vincennes. Il explique : « Prince des collectionneurs, le Cardinal avait acquis le coffre aux enchères, en 1658 à Amsterdam. À sa mort, en 1661, sa nièce en hérita. Mais après un revers de fortune, elle-même le céda aux enchères, ce qui lui valut son voyage en Angleterre, fin XVIIe-début XIXe siècle. »
Le coffre, à Amsterdam au Rijksmuseum, dans la salle des trésors de «la Hollande coloniale».
« La boucle est bouclée pour la Hollande ! Un retour aux sources européennes après son exil du Japon », se félicitent Philippe et Aymeric Rouillac, qui ont assisté, il y a quelques semaines, à l'inauguration en grande pompe de l'exposition du coffre au Rijksmuseum d'Amsterdam. « À 7,31 millions d'euros, c'est l'acquisition hollandaise la plus importante depuis la guerre, grâce aux mécénats privés », affirme le jeune marteau.
Désormais, «le coffre trône à côté de la salle des vingt Rembrandt, dans une cage de verre blindé, couvercle fermé, présenté non restauré, attendant que le bois se stabilise», poursuit-il. Avant de songer à voix haute : « Quand je pense qu'en souvenir de Louis XIV enfant qui jouait dans le coffre de son parrain le Cardinal, mes propres enfants ont pris la pause à l'intérieur pour une photo-souvenir ! ».