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COLLECTION MARQUIS DE SADE
Descendant d'une ancienne et très noble famille provençale, Donatien-Alphonse-François de Sade, plus connu sous le nom du marquis de Sade, fut longtemps un nom déshonnête qu'on prononçait à voix basse. Il compte pourtant parmi ses lecteurs: Baudelaire, Swinburne, Nietzsche, Apollinaire qui l'exhuma, et les Surréalistes reconnaissent en lui un grand ancêtre.
Ceux qui s'obstinent à ne voir en lui qu'un provocateur cynique et érotomane délirant oublient sans doute ce texte, connu aujourd'hui sous le titre Voyage d'Italie, œuvre capitale, moins en raison de ses mérites littéraires qu'en ce qu'il nous fait découvrir un Sade trop méconnu. Cet ouvrage de vaste envergure, commencé au cours de son deuxième voyage en Italie et poursuivi à son retour en France, est le seul témoignage d'un homme âgé de trente-sept ans qui n'avait pas encore connu les cachots de Vincennes ou de la Bastille, sur des sujets aussi divers que l'art, la création, les mœurs, les femmes, la politique, la philosophie et la religion. Nous découvrons alors un homme de goût, fasciné par les chefs-d'œuvre de l'art et de l'architecture, un amateur éclairé de l'archéologie. Les fouilles d'Herculanum et de Pompéi avaient suscité chez de nombreux artistes un vif intérêt pour l'Antiquité.
Le « Grand Tour » ... jeunes et riches, aristocrates et grands bourgeois, ces adeptes voyagent dans toute l'Europe, commencent par l'Italie, pendant vingt ou trente mois pour compléter leurs connaissances et affermir leur caractère: rite de passage à l'âge d'homme, qu'ils accomplissent suivant la mode anglaise, avec un nombreux équipage et dûment recommandés. L'Italie apparaît – et déjà à l'instar de la Renaissance –, comme « le livre du monde ».
Ainsi, à la demande pressante de la marquise de Pompadour – favorite de Louis XV –, son frère, le marquis de Marigny – futur directeur des Bâtiments, Art et Manufactures –, accompagné du graveur-dessinateur Cochin et de l'architecte Soufllot, fait le « Grand Tour» en 1749-1750.
Mais si, après tant d'autres, Sade décide lui aussi de se rendre en Italie pour la deuxième fois en 1775-1776, l'esprit enfiévré d'un grand projet littéraire, c'est dans des circonstances bien particulières qui le distinguent radicalement du touriste ordinaire. Il veut d'abord chercher un refuge, fuyant la détention du fort de Miolans. Terre d'élection et d'asile, Sade a eu un réel besoin de l'Italie: ce voyageur atypique est surtout avide de tout voir et animé d'une insatiable curiosité. La mode pour certains était d'être accompagnés par un peintre ou dessinateur comme Boucher, Fragonard ou... Jean-Baptiste Tierce. Ce fut en effet ce dernier qui accueillit le marquis de Sade à son arrivée à Naples en janvier 1776, après Florence, Sienne et Rome.
Peintre paysagiste français, né à Rouen en 1737, Jean-Baptiste Tierce est sans doute issu d'une famille d'artistes. Il reçut à Rouen l'enseignement de Jean-Baptiste Descamps (1706-1791) qui avait fréquenté Lancret et Largillière. Mais Tierce se réclamera tout au long de sa carrière du maître Jean-Baptiste Pierre, auprès duquel, à Paris, il achève sa formation. Dès 1772, ce Normand devient méditerranéen puis italien, terre dont il attend davantage de relations, indispensables à sa réussite. Aspirant avec succès à l'agrément de l'Académie royale de Paris, il y est élu en tant que peintre de paysages, à l'âge de quarante-quatre ans. Jean-Baptiste Tierce fera de brefs retours en France, avant de fuir définitivement son pays natal, poussé par les événements révolutionnaires.
Lagrenée (directeur de l'Académie de France à Rome, la Villa Médicis) écrit au comte d'Angiviller (surintendant des Bâtiments, l'équivalent de notre actuel ministre de la Culture) : « Un Sr Tierce m'a été présenté par Vien... il a fait des ouvrages pour M. le cardinal de Bernis, qui sont bien, et il en vient de faire pour le grand-duc de Toscane, qui sont encore mieux. Il a de l'esprit et fait des progrès de tableau en tableau. »
De sa rencontre avec le marquis de Sade, il devient son conseiller artistique, s'appliquant à relire ses notes. Pendant quelques mois, la vie du peintre sera happée par cet illustre voyageur dont l'exploration connaît une grande voracité, désirant tout admirer, critiquer, haïr, aimer, assouvir son appétit de découvertes qui les conduira dans les musées, églises, palais, grottes... Lors de leur promenade en campagne, Jean-Baptiste Tierce prend des croquis de tout, aussi bien des chemins, des abords que des auberges ou des monuments, autant de souvenirs dont s'emparera le marquis et que le peintre lui abandonnera. En effet, quand Sade quitte définitivement Naples en mai 1776, il revient avec ses dessins qui le suivront toujours dans ses différents lieux de détention, notamment au donjon de Vincennes dans lequel il est conduit, environ huit mois après son retour. Toute sa vie, Sade gardera les dessins de Jean-Baptiste Tierce à portée de la main, sans doute pour rêver et s'échapper de l'univers carcéral qu'il subissait. Ces derniers demeuraient les fenêtres ouvertes vers un monde qui l'avait rejeté – et ont fait partie intégrante du « portefeuille littéraire» de l'artiste, dans lequel Sade puisait son inspiration, les décors réels dont il avait besoin pour planter les situations et les actions de ses romans.
Cette œuvre artistique a par exemple servi de base et de trame au roman L'histoire de Juliette ou les Prospérités du vice (publié en 1 797) : à travers ses 38 dessins, nous pouvons anticiper le parcours et suivre les pas de l'héroïne sur laquelle prospéra le vice. Elle passe de Turin à Florence, de Florence à Rome, puis Naples, s'arrête aux mêmes étapes, contemple les mêmes paysages que son père littéraire; mêmes lieux, mêmes personnages, mêmes œuvres d'art ressurgissent mais transfigurés, sensualisés.
La majeure partie du portefeuille littéraire du marquis de Sade, objets d'art, antiquités, notes formant son cabinet privé a disparu dans la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Lorsqu'il apprit la perte de ses documents, Sade a écrit: «je pleure des larmes de sang. » Seuls le manuscrit et les dessins de Jean-Baptiste Tierce ont miraculeusement survécu aux prisons et guerres. Cette exceptionnelle collection de dessins du marquis de Sade sera heureusement conservée par ses descendants et est restée propriété de la famille jusqu'à ce jour. Publiée par les Éditions Fayard pour accompagner l'édition complète et annotée du Voyage d'Italie du marquis, elle a été présentée avec succès lors d'expositions à Paris, Avignon, Tours, Rome. Cette pittoresque illustration aux carnets de notes du marquis de Sade est aussi l'occasion de découvrir un artiste oublié dont nous possédons peu de toiles et de dessins. Certes, Jean-Baptiste Tierce n'a pas l'envergure du peintre Hubert Robert, mais il n'est pas pour autant dénué de talent, de spontanéité et de poésie. Stendhal a écrit: « Le charme de l'Italie est parent de celui d'aimer », le divin marquis l'avait compris et vécu avant!
Xavier, marquis de Sade.
Provenance : marquis de Sade, conservé depuis par ses descendants.
Expositions :
Paris, Art Center, 1989.
Paris, Musée Nissim de Camondo, 1995.
Avignon, Musée Calvet, printemps 1996.
Lac de Côme, Villa d'Oste, été 1996.
Tours, Bibliothèque municipale, automne 1996.
Rome, Palais Farnèse, hiver 1996.
Bibliographie :
― Petits et grands théâtres du marquis de Sade, Paris, Art Center, 1989, 9 « vues italiennes» de Tierce, reproduites p. 142 et 143.
― Voyages d'Italie, D.-A.-F. marquis de Sade, chez Librairie Arthème Fayard, 1995. 2 volumes sous emboîtage spécial :
― tome 1 : 525 pages «... dissertations critiques, historiques, philosophiques sur les villes de Florence, Rome, Naples, Lorette et les routes adjacentes à ces quatre villes. Ouvrage dans lequel on s'est attaché à développer les usages, les mœurs, la forme de législation, etc., tant à l'égard de l'antique que du moderne, d'une manière plus particulière et plus étendue qu'elle ne paraît l'avoir été jusqu'à présent ».
― tome 2 : 125 pages d'illustrations, avec toutes les reproductions couleurs des œuvres de J.-B. Tierce.
― Viaggio in Italia, Marchese di Sade, chez Bollati Boringhieri, Turin, 1996 : 420 pages, avec 38 reproductions couleurs des œuvres de J.-B. Tierce.
Précisions :
― Par souci de simplicité, chaque œuvre de Tierce étant reproduite en pleine page dans l'ouvrage édité chez Fayard, nous avons repris le numéro de la table des illustrations -en regard de la description donnée par Sade (« Illustration n° ... »). On se reportera donc facilement et utilement à cet ouvrage, pour la reproduction des 38 œuvres de Tierce pour Sade proposées à la vente, dans l'ordre donné par Fayard. Ou encore à l'édition italienne de Turin, dans laquelle sont reproduits 22 dessins sur nos 38 présentés.
― Parallèlement, Xavier de Sade, présent à la vente, se propose de dédicacer, sur aimable demande -le coffret de chez Fayard -ouvrage que l'on pourra se procurer à Cheverny.
― Chaque œuvre de Jean-Baptiste Tierce portera sur le verso du cadre le cachet spécial « Collection marquis de Sade -Cheverny -1997 ».
― Réunion possible.