Un vieil amour raconté avec des fleurs
Samedi 09 janvier 2021 à 07h
Cette semaine, Laure nous fait parvenir la photographie d’une étrange composition. Me Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, nous donne son avis.
La cloche fêlée est l’un des plus beaux poèmes de Baudelaire… pour sa part, celle de Laure a totalement disparue. Cet étrange médaillon de velours rouge, garnie d’éléments que nous détaillerons, est posé sur un socle ovale en bois noirci appelé embase. Souvent en poirier, on distingue une rainure creusée dans la périphérie du support. Sa fonction ? Retenir le globe de verre qui était autrefois posé sur l’ensemble.
Si ce « globe de marié » n’évoque rien pour les plus jeunes de nos lecteurs, il est pourtant de 1850 jusqu’aux années 1930 l’objet d’une tradition tenace. Considéré comme un « art populaire », les mariées de toutes classes sociales conservent la couronne qu’elles arborent le plus beau jour de leurs vies. L’objet placé sous un grand globe de verre rappelle alors l’heureux souvenir, pourtant il est d’avantage qu’une image figée. En effet, le globe évolue au fur et à mesure de la vie du couple. Chaque élément qui le compose a une valeur symbolique, autant de significations que d’étapes de l’existence. Le verre qui les accompagne est acheté chez le bijoutier ou l’horloger, c’est probablement lui qui a la valeur vénale la plus importante. Malheureusement, ces verres ont parfois été remployés pour protéger les pendules de la poussière, ou ont été brisés par accident. La couronne de Laure, qui en est dépourvue perd beaucoup de son intérêt. L’objet est ainsi difficile à identifier.
Le globe de Laure n’est probablement pas complet, toutefois, il ne faut pas négliger ce qu’il nous dit : une histoire racontée par le langage des fleurs. L’évolution de la langue et le caractère instantané de l’information actuelle nous ont fait perdre certaines significations. Aussi valables dans la peinture du XVIIIe siècle que dans les globes de mariées, chaque variété végétale est porteuse de sens. Les galants et les artistes n’hésitaient pas à raconter ou à déclarer leurs sentiments avec subtilité… des métaphores odorantes !
La couronne de Laure est essentiellement composée de raisins. Elle est pour un homme ce qu’il y a de plus précieux car selon l’adage ancien « une bonne épouse est pour son mari comme une vigne féconde ». Il est amusant de noter que lors d’un remariage, l’épouse remplaçait la couronne par un collier de perles, synonyme d’âmes plus mures. Les fleurs d’oranger visibles sur l’exemplaire de Laure consacrent pour leurs parts la virginité et l’innocence d’une jeune femme. Au contraire de notre exemplaire il n’est pas rare de trouver des artefacts et des petits objets du quotidien sous un globe. Des miroirs pour éloigner le mauvais sort, un miroir triangulaire pour chaque enfant désiré, des mèches de cheveux des nouveaux nés, les médailles militaires du mari, ce charmant « bric-à-brac » produit des témoignages touchants des vies passées. L’ensemble est ainsi placé sur un coussin matelassé qui porte le nom de « calotte », il est fait de velours, satin ou plus rarement de soie pour les privilégiées. Les fleurs et les éléments végétaux sont pour la plupart en papier et en tissu. Le globe devant être aussi éternel que l’amour des époux ses éléments ne peuvent se décomposer.
Si ce globe de mariée était complet on pourrait l’estimer entre 150 et 200 euros. En l’état il n’a pas réellement de valeur. Comme l’écrivait Charles Baudelaire : « Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux » et celle de Laure doit sans doute surmonter une pendule aujourd’hui. Elle protège ainsi sans le savoir un autre artefact du temps qui passe…