La folle épopée du Rubens anglais volé par les nazis
Mardi 01 juin 2021
Le magazine des enchères, Diane Zorzi
Au XVIIe siècle, aucun artiste ne fut autant sollicité par les cours européennes que Rubens (1577-1640). Ce « prince des peintres » sut gagner la confiance des souverains, tant par ses talents artistiques que par sa conversation, son aisance sociale et sa vivacité d’esprit. C’est ainsi qu’il reçoit de Philippe IV d’Espagne une mission diplomatique de tout premier ordre : il est chargé de rétablir la paix entre son royaume et l’Angleterre. Rubens s’exécute et rejoint l’île en 1629. Le charme discret de la campagne anglaise, « digne de l’intérêt de tout gentleman », inspire au peintre d’Histoire parmi ses premiers paysages, à l’instar d’une vue panoramique de la Tamise hérissée de monuments londoniens. Sous son pinceau vibrant, la lumière s’embrase sur les flots et les nuées. Le peintre aborde le genre du paysage avec la même vitalité qu’au sein de ses scènes d’Histoire, dépeignant avec agilité l’atmosphère évanescente des terres anglaises.
Un paysage transformé en hommage à l’Angleterre
De retour à Anvers, après avoir été fait chevalier par le roi Charles Ier qui lui offrit une somptueuse épée ornée de diamants, Rubens agrandit sa petite vue de la Tamise qui devient alors un hommage à l’Angleterre. Sur un fond de gris, teintés de verts, que viennent rythmer de larges tâches rouges, des personnages, aux attitudes fougueuses, se déploient désormais, dans un espace ponctué d’arbres aux feuillages tourmentés. Le paysage décrit désormais la légende de Saint Georges terrassant le dragon. Mais, ainsi qu’il plaça Henri IV sous le regard bienveillant de Jupiter et Junon dans son tableau célèbre de 1622-1625 (Le Portrait de Marie de Médicis présenté à Henri IV, musée du Louvre), Rubens mêle ici le mythe à l’Histoire, dépeignant le chevalier sous les traits de Charles Ier qui, sorti victorieux du combat avec le dragon, apparaît comme celui qui a su rétablir la paix civile. En 1634, le portrait héroïque est expédié au souverain britannique, par l’intermédiaire de l’ambassadeur Endymion Porter. Le tableau est aujourd’hui encore la propriété de la famille royale qui le conserve précieusement dans les collections du château de Windsor. Mais avant que le tableau ne quitte les Flandres, Rubens confia à son atelier la réalisation de trois copies. L’une d’elle, la plus grande, compte parmi les pièces maîtresses de la Garden Party des Rouillac, tandis que les deux autres ont disparu.Le cadeau de Napoléon III volé par les nazis
La vente aux enchères de cette toile de l’atelier de Rubens est un petit miracle lorsque l’on connaît son parcours, digne des plus folles épopées. Notre toile est référencée en 1843 dans la vente de la collection d’Alexandre Aguado, marquis de Las Marismas. Ce riche banquier, propriétaire de château Margaux, détenait des chefs-d’œuvre, à l’instar de la Vierge de Raphaël qui fait aujourd’hui la fierté du Musée Condé à Chantilly. L’Allégorie avec Saint Georges et le dragon séduit nul autre que Napoléon III qui l’offre au docteur Germain Sée, avec qui il partage des moments de vie intime – il est le médecin qui ausculte l’empereur en secret et lui apprend le mal dont il souffre.Le tableau demeure dans la famille de celui-ci jusqu’au 8 mai 1944 où il est brutalement volé par les nazis, lors des opérations de spoliation de Möbel-Aktion. Il intègre le Jeu de Paume, mais n’est pas revendu sur le marché de l’art parisien. Il rejoint le château de Nikolsburg, au sud de la Moravie, où Hitler a fait entreposer plusieurs milliers d’œuvres d’art pillées, regroupées dans la mine de sel d’Altaussee, en Autriche. « À défaut d’envahir l’Angleterre, les chefs nazis s’emparent ainsi de son allégorie par Rubens », fait remarquer Aymeric Rouillac. La toile change de place en février 1945 pour rejoindre le château de Kögl en Allemagne. Un miracle qui lui permet d’échapper à l’incendie qui ravage, quelques semaines plus tard, Nikolsburg, lors des combats avec l’armée Rouge. À la fin de la guerre, elle fait partie des cinq millions d’œuvres d’art sauvées par le groupe d’historiens américains des Monument Men. Elle est rapatriée en France et restituée à la famille de Germain Sée, en 1950.