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"N’est beau que ce qui plaît. "
Françoise Proust, mon épouse, avait un goût discret et n’aimait avoir autour d’elle que des objets de qualité qui lui plaisaient et dont elle pouvait user à tout moment tant en s’en servant qu’en les admirant.
Lorsque j’ai pris conscience, il y a presque vingt ans, que les quelques morceaux de terre vernissée grappillonés çà et là avaient pour intérêt d’être le fruit du travail méticuleux d’ouvriers qui méritent le titre d’artiste, j’ai compris que la chance m’avait favorisé en ne me faisant découvrir que des carreaux peints à la main.
Quel intérêt peut-on porter à ces carrés de diverses tailles qui ont pour grand défaut d’être lourds, très lourds lorsqu’ils s’entassent dans leurs casiers de rangement?
Quelle mémoire peut retenir tout ce qui les caractérise tant il y a eu de centres de productions?
Quelle folie nous a pris d’engager la mise en œuvre d’une telle collection doublée de celle de pièces de forme de mêmes provenances?
Toutes les réponses à ces questions comme à celles que se posent tous ceux qui sont venus et viennent encore «regarder » ces « choses » que certains n’appellent que « pavés », se résument en cette phrase qui pourrait être la devise d’un musée :
Ils sont la mémoire vivante du travail de milliers d’hommes.
Et c’est bien là le problème crucial de cette collection : s’ils sont des milliers à les avoir produits, ils sont des millions à avoir pris forme ce qui implique qu’elle peut être sans fin.
Tout le monde connaît Gien pour ses faïences ou Deft pour son bleu célèbre
Tout le monde connaît Longwy pour ses émaux et Creil pour son service Japon
Tout le monde connaît Beauvais, Desvres, Lille, Martres – Tolosane, Nevers ou Saint-Jean-du-Désert, Londres, Liverpool ou Winterthur mais qui sait et peut imaginer que tous ces lieux ont un point commun : le carreau de faïence utilitaire, sans oublier Rouen, Vron (ah ! son si beau bleu-vert !), Ponchon et Auneuil, Aire sur la Lys, les Boch de La Louvière, Goincourt et L’Italienne, Sarreguemines, Lunéville et tant d’autres lieux connus des seuls vrais amateurs
Les procédés mécaniques ont fait diminuer l’épaisseur des « tiles » et réduit les coûts de production en créant la décalcomanie mais aucune machine n’a remplacé le savoir-faire et le coup de patte d’une « peinteuse » sur émaux à Longwy ou Bordeaux, la finesse du trait du pinceau à un poil, la délicatesse du cloisonné à la seringue, le charme d’une scène champêtre ou d’un bouquet de fleurs au naturel, ce qui ne veut pas dire qu’un travail au pochoir est sans intérêt, qu’un brown-transfert rehaussé à la main de coloris tendres n’a pas sa place ici.
Un Tombeur, un Boulongne, un Wedgwood, un Hulst, Greber de Beauvais et Loebnitz, Dolleans, Hass et Roy, Legrip de Rouen, Vvares à Gien et tant d’autres artistes et patrons d’entreprises ne méritent pas de tomber dans l’oubli, et ce, uniquement parce qu’ils ont, même si le profit financier était un but, contribué à démontrer que l’homme sait se grandir en créant une œuvre impérissable puisque formée dans les matières mêmes des bases de notre monde : la terre et le feu.
C’est tout cela que nous aimions, c’est tout cela que nous avons voulu, dans la mesure de nos faibles moyens, préserver et transmettre à celui ou ceux qui ont compris comme nous que notre devoir est de respecter, admirer et préserver le travail et le savoir-faire des gens simples qui ont donné leurs vies à la création d’objets qui d’utilitaires sont devenus pièces de musées.
C’est aussi pour cela que nous ne voulions qu’une pièce de chaque de dessin quand ce n’était pas la marelle qui nous interpellait.
Mais alors pourquoi les disperser, les vendre ? pourquoi ne pas les garder rien que pour nous ?
Pour que d’autres profitent, eux aussi, de ces objets qui méritent toutes nos attentions…
Gérard Crosnier